Partant de l’intime, ce spectacle touche à l’universel. Jamais l’amour d’une fille pour son père ne fut aussi bien célébré. C’est magnifique ! Dans ce qu’elle appelle un « roman-abécédaire », qui part de A comme Artaud pour terminer à Z comme Zelig (le film de Woody Allen), l’autrice s’attache à dresser le portrait éclaté d’une « personne » désarrimée, son père. Cet homme cultivé, éminent juriste, professeur à la Sorbonne, n’était pas un héros comme les autres. Un mal de vivre profond, une psychose maniaco-dépressive, a contraint celui qui se considérait comme « un mouton noir mélancolique » à s’extraire de la raison pour suivre les méandres de la folie et tomber dans une descente aux enfers. Que faire de ce quotidien, de cet héritage ? Pour la petite fille, il a fallu se construire. Devenue femme, puis mère, elle a comblé les failles pour arriver à faire le deuil de son père d’abord de son vivant, puis après sa mort.
Tout est beau dans ce spectacle mis en scène avec une belle délicatesse d’esprit et d’imagerie par Élisabeth Chailloux. D’une sensibilité à fleur de peau, donnant corps aux mots de la fille et aux maux du père, bouleversante et impressionnante, Sarah Karbasnikoff réalise une performance extraordinaire. L’expression « tenir son public en haleine » a pris, en ce soir de première, tout son sens, tant il régnait dans la salle un silence religieux. Le public est resté suspendu. À la fin, le silence ne s’est pas brisé. L’émotion, tel un ange de rédemption, est passée sur nous. Une longue salve d’applaudissements, des plus méritées, a fait revenir le bruit de la vie. Bravo !
Marie-Céline Nivière
Personne de Gwenaëlle Aubry.
Théâtre 14 (en partenariat avec le Théâtre de la Ville)
20 avenue Marc Sangnier
75014 Paris.
DU 9 au 27 janvier 2024.
Durée 1h20.
Adaptation de Sarah Karbasnikoff, en collaboration avec Élisabeth Chailloux.
Mise en scène d’Élisabeth Chailloux, en collaboration avec Sarah Karbasnikoff.
Avec Sarah Karbasnikoff et la voix off de Frédéric Cherbœuf.
Collaboration artistique de Thierry Thieû Niang.
Scénographie d’Aurélie Thomas.
Lumières d’Olivier Oudiou.
Son de Madame Miniature.
Costumes de Dominique Rocher.
Vidéo de Michaël Dusautoy.
Régie générale Simon Desplebin.