Au théâtre du Ranelagh, tous les week-ends jusqu’en avril 2024, Michael Winum endosse le costume de Dorian Gray dans une mise en scène baroque de Thomas Le Douarec. Donnant vie à l’anti-héros immortel et dépravé d’Oscar Wilde, le jeune comédien d’origine alsacienne livre une prestation habitée et humaine. Une révélation !
© Lisa Lesourd
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
J’ai grandi à Gertwiller un petit village alsacien, l’une des capitales françaises du pain d’épices.
Chaque année entre fin novembre et début décembre il y avait une fête assez incroyable qui prenait place dans les rues, les églises et les lieux incontournables du village.
Des spectacles y étaient donnés, les artistes jouaient, dansaient, poétisaient, chantaient… Ça s’appelait Contes et légendes. Ça a bercé mon enfance pendant longtemps. Je rêvais de pouvoir jouer un jour comme eux.
Je trouvais ça fascinant ! Je m’en rappelle encore bien des années après.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Eh bien la perte des êtres chers.
J’ai perdu beaucoup de mes proches lorsque j’étais enfant. Il me fallait donc réinventer les choses, trouver des échappatoires, calmer mes pensées, canaliser l’enfant que j’étais pour pouvoir avancer et me relever.
Rien de tel que l’art vivant pour panser ses blessures, faire de ses failles une force, une source de création.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
L’ennui. Je suis un garçon qui s’ennuie assez rapidement. Je déteste depuis longtemps la routine, le quotidien. Il fallait donc un métier qui puisse me surprendre, me secouer jour après jour, me faire vibrer encore et encore.
De plus je n’ai pas vraiment aimé mon enfance, elle fut difficile. C’est comme si la vie m’avait privé de jouer. L’enfant devrait normalement le faire sans crainte en s’amusant…Moi pas vraiment.
Alors j’ai décidé que j’allais passer le reste de ma vie à « jouer » justement, pour rattraper toutes ces années-là et réinventer l’enfant que j’étais. Changer d’identité, de vie, quel bonheur !
Et puis ça me canalise. Être en communion avec des personnages, ça m’évite l’égarement.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
L’aiglon d’Edmond Rostand, mis en scène par Jaromir Knittel. J’étais le fils de l’empereur, incroyable ! Sa vie, ses blessures, sa mort précoce… Ce personnage m’a bouleversé et m’a habité pendant longtemps. On jouait en Alsace et en tournée. J’avais même remporté un prix d’interprétation dans un festival de théâtre à Charleville-Mézières, j’étais si content. Le partage avec les autres comédiens, les rires, les déplacements, l’aventure… j’avais adoré !
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Phèdre de Patrice Chéreau. Ce spectacle m’a bouleversé. Dominique Blanc y est fascinante, entourée d’une équipe inoubliable ! Je regarde parfois en boucles les extraits qui ont été enregistrés sur internet, ça me stimule !
Et puis cette mise en scène en bilatéral, j’avais adoré. C’est comme si l’histoire, les personnages venaient trancher la foule pour mieux l’habiter. Un grand moment de théâtre qui restera dans les annales j’en suis persuadé.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Celui que j’appelle « mon père de théâtre » Jaromir Knittel. Il m’a tant donné, tant appris. C’est vraiment lui qui m’a transmis l’envie de faire ce métier. Il m’a soutenu depuis le début et continue de le faire. Je ne l’oublierai jamais.
Et puis mon professeur de théâtre au lycée, Brigitte Arnaudet. Elle avait créé l’option théâtre à Barr. On jouait, on s’évadait, elle nous emmenait au théâtre… Elle était passionnée et si lumineuse ! Que de beaux souvenirs !
Enfin Jean-Laurent Cochet. Il m’a tant appris en si peu de temps. Après le Conservatoire je voulais continuer à apprendre, d’ailleurs on apprend toujours. Je connaissais son travail, son enseignement… c’est l’un des plus grands professeurs de théâtre à mes yeux. Quelle chance de l’avoir connu !
Et puis tant d’artistes, de metteurs en scène avec qui j’ai travaillé, il y en a une kyrielle, je pense aussi à ma chargée de diffusion Claire Ramiro, j’ai rarement travaillé avec une personne aussi proche des artistes, aussi gentille et bienveillante…
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je pense que mon métier me recentre au quotidien. Je suis trop mental, trop cérébral comme garçon, il me permet de puiser des idées dans ma tête sans m’épuiser. Il me calme et m’anime à la fois. Il est devenu une raison d’être. C’est une grande histoire d’amour qui a commencé et qui durera bien longtemps je l’espère. Être comédien ça aère, ça entretient la vie… La sienne bien sûr et celle des autres.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Tant de choses. J’observe beaucoup, j’aime regarder les gens, essayer de comprendre comment ils fonctionnent. Je pourrais passer des heures à ne faire que ça. Je me nourris de ce que j’entends, de ce que je lis, de ce que je vois.
Et puis je dessine et peins à côté de mon parcours de comédien. Ça rééquilibre les choses. Je joue pour me galvaniser et je peins pour m’apaiser.
Toute forme d’art (théâtre, littérature, peinture, sculpture, danse…) me nourrit et me fait grandir.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Un rapport sacerdotal ! Un lieu vraiment sacré pour moi. Il s’y passe tant de choses c’est fou ! Ces émotions qui circulent, le trac, la peur mais également les rires, les joies, tout ce qu’on y partage, ces personnages qui prennent vie… C’est grandiose !
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Je dirais le ventre. D’ailleurs, ne dit-on pas “montre-nous ce que tu as dans le ventre” ?
On respire aussi avec le ventre !
Cette zone s’anime incroyablement lorsque je joue. Le diaphragme vient soutenir tout ça, heureusement !
C’est très intense, parfois ça va loin.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Oh là là ! Là si je commence ça ne s’arrête plus ! (rires) Il y en a tant.
Thierry Harcourt, Jean-Philippe Daguerre, Thomas Jolly, Wajdi Mouawad, Pierre Notte… Ça y est, mon cerveau s’anime, des dizaines de noms me viennent en tête…
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Jouer dans un spectacle complètement barré sur un énorme plateau où ça va dans tous les sens et où ça dure des heures… un spectacle de Frank Castorf par exemple. Le théâtre dans toute sa splendeur quoi !
Si votre vie était une œuvre quelle serait-elle ?
Le rêve du berger, une peinture de Johann Heinrich Füssli. Des créatures étranges dansent et s’animent au-dessus d’une silhouette endormie. L’artiste qui fantasme ? Le créateur qui communique avec ses personnages ? Ou ces derniers qui le hantent…C’est le champ de tous les possibles.
L’imagination, la beauté, la rêverie, les ailleurs, le mystère… Tout y est !
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le portrait de Dorian Gray d’Oscar Wilde
Théâtre du Ranelagh
5, rue des Vignes
75016 Paris
jusqu’au 26 avril 2024
Durée 1h25
D’après l’unique roman d’Oscar Wilde
Adaptation théâtrale et mise en scène Thomas Le Douarec assisté de Caroline Devismes
Avec Michael Wimun, Fabrice Scott, Maxime de Toledo, Caroline Devismes, Solenn Mariani en alternance avec Thomas Le Douarec.
Musique originale et direction musicale de Mehdi Bourayou, paroles de Thomas Le Douarec