À la Colline-Théâtre national, à la demande de Wajdi Mouawad, directeur du lieu, l’illustrateur et auteur Hervé Tullet sort les histoires de ses livres pour leur donner vie sur un plateau improvisé entre scène et foyer. Concrétisant un de ses rêves les plus fous, l’illustrateur et auteur normand invite petits et grands à participer ensemble à l’aventure Choréographiques.
© Leo Tullet
Comment est née votre envie d’écrire ?
Hervé Tullet : Ça remonte à loin. Plus de 30 ans. J’ai d’abord commencé par être illustrateur. Et j’imagine que le goût de raconter des histoires est né de cette première expérience. Pour appuyer les idées d’un texte par un dessin, il faut forcément un récit. Les deux disciplines s’imbriquent parfaitement et correspondent à quelque chose que je portais en moi. C’était à l’époque un territoire nouveau que j’abordais, j’étais passionné, fasciné. J’ai fait un, deux, trois livres et je ne m’en suis jamais lassé. D’autant plus que mes premiers ouvrages sont liés à un travail que je faisais avec les banlieues. L’idée était de les amener par des récits à dépasser leur territoire, d’aller vers d’autres ailleurs. J’ai vécu cela comme une mission, un endroit de partage et de création dans des milieux certes difficiles mais captivant à explorer. On peut dire que c’est le point de départ de toute l’aventure, de ce qui me mène aujourd’hui à la Colline, à conter des fables et de permettre au public d’être partie prenante de l’expérience. Ma manière d’écrire, de faire récit est implicitement participative.
Et pourquoi la littérature jeunesse plus particulièrement…
Hervé Tullet : Je n’aime pas trop ce terme. Je le trouve trop réducteur. J’écris pour des gens, pour des enfants, mais surtout pour jouer avec eux, pour créer des espaces de partages entre un gamin et un adulte. D’autant que mes livres n’ont pas de fin propre. C’est ensemble que le lecteur et le ou les auditeurs construisent la suite du récit. Mes œuvres ne sont pas composées d’un texte à lire, de dessins à regarder. Elles se nourrissent d’une expérience commune, vécue à deux ou à plusieurs. Mais disons qu’au début, dans les années 1990, il y avait un courant, une mode autour de la conception de livres créatifs pour les enfants. J’aimais l’idée d’aller sur des chemins moins empruntés, de tenter des choses un peu différentes de ce à quoi on est habitué. Et puis il y avait un nombre incalculable de pistes à explorer, de nombreuses possibilités de création. Après c’est une histoire d’heureux hasards. J’ai trouvé le bon éditeur. L’entente a tout de suite été complice. Il a laissé libre court à mes idées. J’avais plein d’espaces de liberté. À y repenser, c’est assez dingue !
Vous sortez du cadre simple de la lecture. Comment est venue cette sorte d’expérience augmentée ?
Hervé Tullet : Cela s’est fait très naturellement. Je ne souhaite pas voir figer mes récits. Il est important qu’ils soient vivants. Tout simplement, je me suis pris au jeu du conteur. Aller dans une école, une classe, un préau, pour raconter des histoires. C’est une expérience tellement incroyable. Assez rapidement, d’ailleurs, j’ai été débordé. Trop de sollicitations. Il m’est arrivé de me retrouver avec des groupes de 400 personnes, de devoir improviser pour les attraper, les embarquer dans des moments un peu fous, un peu intenses. Lors de ces évènements, il y a beaucoup d’inconnus. C’est important pour que le lien fonctionne. J’ai l’impression d’être sans arrêt sur le fil de la surprise et de la spontanéité. C’est là le véritable cœur de mes créations. J’ai l’impression d’être un musicien de jazz, de faire du jazz. Et j’aime tellement cela.
Quelle est la genèse du projet Choréographiques ?
Hervé Tullet : C’est très simple. Je participais à une émission de radio. J’avais évoqué le fait que mon travail était finalement très théâtral. Peu de temps après, Wajdi (Mouawad), qui m’avait entendu, m’a appelé pour me dire « Puisque ce que tu fais est théâtral, est-ce que tu veux faire du théâtre ? » Sans hésiter, j’ai dit oui. Je n’avais pas du tout imaginé ni anticipé tout le travail que cela demanderait. La forme a pris du temps à se concrétiser dans ma tête. J’avais pas mal d’idées mais aucune qui me convenait totalement. Je voyais pas mal d’ustensiles, quelques instruments de musiques. En fait, j’avais l’envie d’un « loop », d’une sorte de mélodie qui tourne en boucle, que je puisse fabriquer moi-même. Et puis la providence a voulu que je rencontre Elisabetta (Garilli) lors d’un autre projet que je menais dans les montagnes du Frioul. Ensemble nous avons travaillé sur l’idée de faire du son avec des cailloux. Cela a été un vrai plaisir de collaborer avec elle. J’ai donc eu l’envie de lui proposer de m’accompagner sur Choréographiques. Très vite, nous avons inventé d’autres cadres, comme le fait d’enlever la scène, de sortir du théâtre pour inventer un autre espace avec le pari fou que les spectateurs seraient ainsi aussi des acteurs du spectacle.
Concrètement comment cela se transcrit ?
Hervé Tullet : Quelque part dans le théâtre, un livre est installé, puisque c’est le point de départ de l’aventure. Mais très vite, le livre va devenir théâtre. Je commence par lire et puis les sons, les lumières, les artistes et techniciens qui travaillent avec moi, tous des complices, font que les mots prennent vie, que le texte s’envole des pages pour se transformer dans la réalité. C’est un peu comme une expo idéale, où tout se conjugue, se mêle pour faire un tout singulier, qui n’est ni une lecture, ni une pièce à proprement parlé, mais tout simplement autre chose. Certes l’espace de l’expérience est délimité mais heureusement pas l’imagination, ni celle des spectateurs, ni la mienne. J’aime bien l’idée de jouer avec des ustensiles incongrus par exemple, une passoire, des lampes électriques. Mais je crois que ce qui me passionne le plus, c’est d’être une voix contre celles des autres, celle de l’audience. Le spectacle, cette performance, est vraiment un endroit de folie, un pas de côté surréaliste, une création finalement collective et forcément différente à chaque représentation.
Cette nouvelle expérience, cette nouvelle corde à votre arc, change-t-elle quelque chose à votre travail habituel ?
Hervé Tullet : Je ne sais pas. C’est trop tôt pour le dire. Je vis cette expérience comme un moment unique où je joue l’acteur. C’est très nouveau comme sensation. Les journées sont assez calmes, pour pouvoir déployer toute son énergie au moment d’être devant les gens venus me voir. Du coup, je me suis installé dans une forme de routine. Ce qui me va parfaitement. Je suis très casanier. Un bon livre me suffit, pas besoin de tout le temps courir. Du coup, je ne me vois pas tourner ce spectacle. C’est une création unique pour la Colline. Et c’est tout. En revanche, étant quelqu’un de très transversal, j’adorerais faire un spectacle de danse à partir de mes écrits, travailler avec un chorégraphe qui traduirait mes mots en gestes. Je suis comme un pêcheur qui attend l’opportunité, le poisson qui va mordre.
D’où vient ce terme Choréographiques ?
Hervé Tullet : Il y a bien évidemment l’idée de mouvement, de danse. Les gens qui m’accompagnent au plateau bougent. Il y a tout un travail de déplacement qui a été pensé. Et puis je suis quelqu’un de très graphique du fait de mon métier. Je trouvais jolie l’idée d’associer ces deux notions dans le titre du spectacle. Cela le définit parfaitement.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Choréographiques d’Hervé Tullet
Petit théâtre
La Colline -Théâtre national
15 Rue Malte-Brun
75020 Paris
jusqu’au 23 décembre 2023
Durée 1h00 environ
conception d’Hervé Tullet
avec la complicité du Garilli Sound project
lumières de Laurent Schneegans
avec Serena Abagnato, Giulia Carli, Elisabetta Garilli, Gianluca Gozzi, Hervé Tullet, Léo Tullet