Des voix de femmes s’élèvent dans la nuit. Se libérant du poids de l’oppression subie en raison de leur sexe, elles brisent le silence de leur mélopée obsédante, de leur complainte douloureuse, salvatrice. Malheureusement, si ce chant touche au cœur, la lenteur des mouvements, l’austère mise en scène de Lemi Ponifasio, nous empêchent de nous laisser totalement emporter. Froideur et incompréhension dominent l’ensemble… Dommage !
Dans un décor des plus dépouillés, quelques gravats dispersés sur scène donnent le ton au spectacle qui va nous être présenté. Tout commence au cœur d’un monde en ruine. Côté cour, six jeunes demoiselles de noir vêtues, très belles, très tristes, semblent prostrées dans le silence. Elles rappellent les pleureuses d’un autre temps, d’une autre culture. Face à elle, une femme plus âgée, les regarde. Entre elles, un océan de vide, de larmes et de chagrin, les sépare. Alors que le silence devient lourd, pesant, un chant à six voix vient rompre cette intenable attente. Plus qu’une mélopée en maori, c’est une lente complainte, un cri tenu, déchirant.
Hypnotisé par cette litanie envoûtante, on se laisse totalement embarquer par la beauté des tonalités, des sonorités oubliant qu’on ne comprend goutte aux paroles. Les intonations, les silences, suffisent à saisir les troubles, les émotions qui animent ces femmes opprimées, bafouées, violentées par la société qui les entoure. Emmurées depuis trop longtemps dans le silence, dans l’inaction, elles restent longtemps immobiles, incapables de se mouvoir. Quand enfin, elles se lèvent, c’est avec lenteur. Chacun de leurs mouvements, de leurs gestes, prend un temps infini. C’est cette pesanteur, ce languissamment qui fait toute la beauté du spectacle voulue par Lemi Ponifasio, mais aussi tout ce qui en éloigne une grande partie du public.
C’est cette ambivalence qui domine l’ensemble de cette pièce qui mêle habilement danse, théâtre, arts martiaux et chants choraux. Si les tableaux qui s’enchaînent fascinent, émerveillent, telle cette femme nue sacrifiée, lapidée sur l’autel de la bien-pensance sexiste, machiste, ou ces silhouettes errantes dans une ville détruite tentant de nettoyer les stigmates d’une guerre dont elles sont les victimes, on reste de marbre tant tout est froid, glacial. À trop jouer sur une rythmique étendue, étirée, à trop vouloir forcer nos imaginations sans nous donner quelques pistes de réflexions, Lemi Ponifasio perd notre attention. Malgré un propos féministe, humaniste, qui séduit, des images bouleversantes, saisissantes, qui ensorcellent, c’est l’ennui qui finit par nous emporter sans plus jamais nous abandonner. C’est d’autant plus dommage qu’on aimerait tant se laisser émouvoir par ce cri de femmes vibrant.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Avignon
Standing in time de Lemi Ponifasio
Festival d’Avignon
Cour du Lycée Saint-Joseph
62 Rue des Lices
84000 Avignon
jusqu’au 10 juillet 2017
Durée 1h30
Mise en scène, scénographie, son de Lemi Ponifasio
Lumières d’Helen Todd
Musique de Ria Te Uira Paki et Te Ara Vakaafi
Costumes de Kasia Pol
Avec Gabriela Arancibia, Rosie Te Rauawhea Belvie, Kasina Campbell, Te Riina Kapea, Elisa Avendano Curaqueo, Nazerene Paea, Ria Te Uira Paki, Kahumako Rameka, Manuao Ross
Crédit photos © Christophe Raynaud de Lage