Tel un calendrier de l’avent, à quelques cases de Noël, La Garance propose du 5 au 9 décembre la deuxième édition du festival Manip !, un événement qui permet de découvrir la « magie nouvelle dans tous ses états d’art ». Rencontre autour de ce temps fort avec Chloé Tournier, directrice de la scène nationale de Cavaillon.
© Élodie Mollet
Il y a eu le nouveau cirque, et maintenant, il y a la magie nouvelle. Comment définiriez-vous cette discipline ?
Chloé Tournier : En effet, c’est un peu comme le nouveau cirque ! La magie nouvelle, c’est le passage d’une virtuosité technique — qui est celle de la maîtrise d’un tour, d’une manipulation — à une écriture poétique et dramaturgique. On sort d’une discipline qui est normalement une succession de tours plus virtuoses les uns les autres pour aller vers un art qui met l’écriture et la narration au cœur du projet. C’est pour ça qu’on dit « magie nouvelle » : ce n’est plus un spectacle composé de tours, mais une écriture, un propos, qui est illustré par de la magie. C’est ça, pour moi, le grand renversement entre des approches plus traditionnelles et des approches plus nouvelles. Est-ce que l’on met la technique en avant et le fond en second plan ? Ou, est-ce que l’on met en avant ce que l’on souhaite dire en priorité, avec son art, en mettant la technique au service de ce fond-là ?
Le festival Manip ! est né de quel désir ?
Chloé Tournier : La première chose que j’ai ressentie en échangeant avec des artistes magiciens auprès lesquels j’avais déjà travaillé, c’est qu’il existait un manque d’accompagnement des institutions publiques françaises sur la magie nouvelle. Un manque qui s’explique évidemment par le côté récent de la discipline, mais aussi, peut-être parfois, par certains préjugés — ceux que l’on pourrait avoir à l’endroit de la magie en tant que pratique très populaire, mais pas très contemporaine. Cette absence est dommageable au développement de cette discipline comme art vivant à part entière. On retrouve cette absence en termes de visibilité, avec des propositions estampillées « magie nouvelle » dans les lieux labellisés en France, en termes de diffusion, mais aussi en termes d’accompagnement à la création, que ce soit sous forme de coproduction ou d’accueil en résidence. Et, même, si l’on remonte plus loin, par une absence de structuration de la formation des magiciens et des magiciennes. Il faut savoir qu’aujourd’hui en France, où l’on a des écoles de théâtre, de danse et de cirque, sans parler de la musique avec le réseau des conservatoires, il n’y a pas de formation dédiée à la magie nouvelle. Si ce n’est une option qui existe au Cnac, à Châlons-en-Champagne. mais cela ne reste qu’une option dans un parcours de circassien. Cela ne correspond pas à la réalité du terrain. les personnes s’intéressant à cette discipline viennent d’horizons très différents et notamment du théâtre ou de la danse. L’absence de reconnaissance de la magie nouvelle aux yeux des institutions publiques françaises induit parfois un petit manque.
Que le festival va tenter de combler ?
Chloé Tournier : Nous sommes de plus en plus nombreuses et nombreux, car je ne suis évidemment pas toute seule à défendre la magie nouvelle et à dire qu’il faut remédier à ça ! La Garance était l’endroit évident en tant que scène nationale, au niveau professionnel, pour nous engager en coproduction, puisque l’un de nos artistes associés, Thierry Collet, est magicien, mais aussi en diffusion, à travers le festival Manip !, à soutenir et à rendre le plus visible possible cette discipline. Cette manifestation est née d’ailleurs de ce désir de répondre à des enjeux professionnels. L’autre enjeu était celui du public, bien sûr. Il faut savoir que la magie, c’est l’apprentissage du doute.
Qui mettrait à mal Saint-Thomas !
Chloé Tournier : Ce n’est pas parce que j’ai vu quelque chose qu’il existe. Ce n’est pas : « Je vois, donc je crois ». Dans la magie, on est amené à voir des choses, mais ces choses-là étant magiques, elles ne sont donc pas réelles. C’est une chose extrêmement importante pour moi, parce que je trouve qu’on est dans une société qui se polarise sur des pensées parfois assez extrêmes, quel que soit le domaine. Il est important, à ce titre, de cultiver sa propre capacité à douter. Douter de ses certitudes, de ses convictions, accepter de se décaler, de se remettre en cause. La magie permet ça, une forme d’humilité qui me semble intéressante aujourd’hui. Dans un monde où l’image numérique est très présente, où circule une masse importante de fake news, plus on développera notre esprit critique par rapport à ce que l’on voit, mieux le commun s’en portera. C’est une première chose. Deuxième chose : la magie, c’est quand même un endroit de mise à égalité des publics, puisqu’a priori, personne n’a compris ce qui s’est passé. Que l’on soit un spectateur aguerri, doté d’une pratique théâtrale régulière et maîtrisant les codes, ou que l’on soit tout à fait novice, au final, on se retrouve tous au même endroit. Surpris par son incompréhension. Cet endroit de mise à niveau devrait permettre de faire monter dans le train de la programmation, et donc d’attirer dans le territoire de rayonnement de la Garance, de nouveaux publics. C’est évidemment les différents éléments qui m’ont amenée à souhaiter mettre en place un festival de magie.
Après le festival confit ! en mai dernier autour de la gastronomie, on peut dire que vous aimez surprendre vos spectateurs. Quel sera le prochain challenge ?
Chloé Tournier : Le prochain challenge à La Garance, c’est la mise en place, à partir de septembre prochain sur la saison 2024-2025, d’une programmation en arts visuels. En tant que scène nationale, nous avons une programmation qui est plutôt dédiée au soutien, à l’accompagnement du spectacle vivant. On a pu bénéficier d’un dispositif particulier de soutien du Ministère de la Culture. Il va nous permettre d’avoir comme artiste associée, à partir de septembre prochain, une commissaire d’exposition, Anne-Sophie Bérard. Grâce à elle, toute la saison prochaine, nous allons présenter des expositions d’arts contemporains qui seront accessibles gratuitement, toute la journée, dans le hall de La Garance. C’est un vrai challenge qui va nous permettre de développer de nouveaux réseaux de partenariats, de nouvelles manières de communiquer auprès de nouveaux publics. Cela permet également de penser à une nouvelle occupation du bâtiment, de ses espaces. La Garance va vivre, évidemment, au moment des spectacles, mais aussi en journée, au moment où des classes ou des particuliers vont venir voir et visiter le lieu. Bien évidemment, cela va demander aux équipes de la Garance de développer de nouvelles compétences, bien au-delà de l’accompagnement de l’art vivant. Donc pour tous, il y a un grand challenge de devenir un lieu total, un lieu qui ne se ferme aucune porte sur le plan artistique et qui accompagne une transversalité dans la création artistique. Il y a aujourd’hui de nombreux artistes qui utilisent différents médiums pour faire entendre leurs propos. Parfois ils vont s’exprimer au plateau, parfois ils vont s’exprimer à travers des pratiques qui sont plus des installations ou de l’ordre des arts visuels. Il est important de pouvoir ainsi accompagner les innovations dans la création artistique via des dispositifs qui nous permettent d’être à tous ces endroits, en soutien et en diffusion.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Festival manip’
La Garance, scène nationale
Rue du Languedoc 84306 Cavaillon
Du 5 au 9 décembre 2023.