Le théâtre de l’Essaïon se transforme deux fois par semaine en salle de classe et les spectateurs redeviennent des élèves attentifs aux propos de Madame Marguerite, interprétée par Émilie Chevrillon. Plus de cinquante ans après sa création, la pièce de Robertot Athaye demeure un classique bien moderne.
© Alejandro Guerrero
Écrite en 1971, par Robertot Athaye, jeune auteur Brésilien de 21 ans, cette pièce s’inscrivait dans les problématiques que connaissait alors l’Amérique du Sud, les dictatures. L’image du professeur était la métaphore idéale. Depuis, le corps enseignant a beaucoup évolué. Les coups de règle et les punitions, en tout genre, sont interdits ! Madame Marguerite est d’une autre époque. De celle où il n’était même pas question de remettre en cause les dires d’un adulte, surtout s’il détenait le pouvoir et le savoir.
Ce texte est parvenu en France en 1973, avec Annie Girardot, dans une adaptation de Jean-Loup Dabadie et une mise en scène de Jorge Lavelli. Ce fut un triomphe ! Dans les années 1980, il était amusant de faire entendre ce texte lors des représentations théâtrales du lycée. La tête du proviseur, un régal ! Ce dernier avait alors menacé de fermer le club théâtre ! Comme quoi les sujets principaux de l’œuvre étaient provocants aux yeux de certains. Ceci reste valable pour ce début de XXIe siècle.
Un Monologue tragicomique
Dans le répertoire, il existe peu de longs et beaux textes pour une comédienne, quel que soit son âge. Madame Marguerite en fait partie. Après Annie Girardot, il y eut pour l’incarner au plateau la grande Madeleine Robinson, la belge Marie-Paule Kumps, Valérie Zarouk et plus récemment Stéphanie Bataille au Lucernaire. C’est au tour de la délicieuse Émilie Chevrillon de se glisser dans la peau de cette institutrice de CM2. Cette version, comme la précédente, n’est plus l’adaptation du regretté Dabadie, mais de l’auteur lui-même, qui a gommé certain trait d’esprit du premier pour faire ressortir plus intensément l’aspect kafkaïen de son personnage.
Madame Marguerite est un sacré personnage, un brin fantasque voire totalement folle ! Monsieur le directeur en est bien conscient, c’est la raison pour laquelle, il lui a formellement interdit de se mettre à poil devant ses élèves ! Remplaçante de son état, elle débarque en cours d’année. Il lui faut donc dompter cette classe de CM2, composée de gamins donc la principale motivation est d’entrer en 6e avec des connaissances des choses de la vie. Madame Marguerite n’est pas là pour ça. Quoique ! À sa manière, elle passe en revue les mathématiques, les sciences naturelles, l’histoire… Ses attaques de théories bien particulières sont délicieuses à écouter… Car derrière chaque délire se cache des vérités et les nombreuses failles d’une femme blessée.
Une prestation originale dans un écrin classique
Le metteur en scène, Michel Giès, qui a collaboré avec Georges Wilson et Marcel Maréchal, a choisi de garder dans son jus, les années 1970, la salle de classe de Madame Marguerite. La scénographie nous place devant une image pédagogique, reproduisant une scène de Carnaval, un tableau noir, sa craie et sa poussière lorsqu’on l’efface, le squelette et bien sûr le bureau. Ce dernier très haut permet de faire un gag de répétition, très circassien, dès que Madame Marguerite s’y assied.
Vêtu d’une robe vintage, d’une perruque rousse (accessoire pas anodin du tout), Émilie Chevrillon donne un certain cachet à son personnage. C’est une belle femme, très éloignée de la vieille fille acariâtre qu’on imagine. La comédienne, qui a fait ses classes auprès de Laurent Terzieff, fait entendre et vibrer les méandres de la pensée et les dérèglements de cette institutrice fatiguée de tout. Sa prestation est remarquable. Alors, n’hésitez pas, courez redoubler votre CM2 avec l’inusable Madame Marguerite.
Marie-Céline Nivière
Madame Marguerite de Robertot Athaye
L’Essaïon
6 rue Pierre au lard
75004 Paris.
Jusqu’au 17 janvier 2024.
Les mardis et mercredis à 21h.
Durée 1h15.
Mise en scène de Michel Giès.
Avec Émilie Chevrillon.
Réalisation sonore de Francis Warnier.