La Esmeralda de Louise Bertin, d'après l'œuvre de Victor Hugo. Mise en scène de Jeanne Desoubeaux © Jean-Louis Fernandez

La Esmeralda, un opéra féministe sorti de l’oubli par Jeanne Desoubeaux 

Aux Bouffes du Nord, puis à l'Opéra Grand Avignon, Jeanne Desoubeaux sort de l'oubli "La Esmeralda", opéra oublié de Louise Bertin.

La Esmeralda de Louise Bertin, d'après l'œuvre de Victor Hugo. Mise en scène de Jeanne Desoubeaux © Jean-Louis Fernandez

Jeanne Desoubeaux sort de l’oubli un opéra de Louise Bertin datant de 1836, adapté de Notre-Dame de Paris de Victor Hugo. Un spectacle punk, ingénieux et puissant pour révéler les visages du patriarcat.

© Jean-Louis Fernandez

La proposition a de quoi faire lever les sourcils. Depuis un échafaudage parsemé de néons, Esmeralda se déhanche lascivement. Dans de belles cuissardes, le capitaine de garde ponctue son défilé de larges grimaces de gargouille. Le prêtre se délecte des coups de fouet qu’on lui assène. Quasimodo tient une laisse, mais au bout, ce n’est pas un chien. 

Oui, le parti pris de Jeanne Desoubeaux s’annonce explosif et pour cause, il prend pour point de départ la fête des fous. Les rôles sociaux s’y inversent, débauche et déviance y sont de mise. La metteuse en scène n’exagère en rien la tradition médiévale sur laquelle s’ouvre le livre de Victor Hugo

C’est pourtant là, la première des libertés que le spectacle s’autorise avec la partition de Louise Bertin. Cette montée lancinante qui mêle musique électronique et chants grégoriens, on la doit à Gabriel Legeleux, alias Superpoze. L’artiste, déjà familier du théâtre (on l’a vu aux côtés de Kae TempestMarc LainéBlandine Rinkel…), met en musique le manifeste de Jeanne Desoubeaux : un retour punk, jusqu’au-boutiste et engagé de La Esmeralda.

La Esmeralda de Louise Bertin, d'après l'œuvre de Victor Hugo. Mise en scène de Jeanne Desoubeaux © Jean-Louis Fernandez
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Production du Théâtre des Bouffes du Nord, La Esmeralda est la nouvelle création de la jeune artiste passée par l’Académie de l’Opéra national de Paris en mise en scène. Dans Où je vais la nuit, libre interprétation d’Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck, elle saisissait déjà par la maîtrise de l’équilibre entre ingéniosité, poésie et engagements féministes. Le concert qui ouvrait la pièce célébrait l’union du couple, devenu lesbien dans cette adaptation. Même pas de côté alors que Jeanne Desoubeaux s’attaque au Carmen de Bizet. Dans ce spectacle immersif qui s’ouvre en extérieur, le public suit avant toute chose un cours d’auto-défense féministe.

Ce sont ces mêmes partis pris radicaux qui garantissent à La Esmeralda une force artistique et politique rare. Le pari n’est pourtant pas gagné d’avance. Quand en 1836, Louise Bertin et Victor Hugo créent cet opéra en quatre actes, le spectacle est un tel échec qu’il tombe presque instantanément dans l’oubli.

Avec une sensibilité rare, Jeanne Desoubeaux et Benjamin d’Anfray (aux arrangements et à la direction musicale), s’attellent donc à trouver entre théâtre et opéra l’éclat qui a tant manqué à sa création.

La Esmeralda de Louise Bertin, d'après l'œuvre de Victor Hugo. Mise en scène de Jeanne Desoubeaux © Jean-Louis Fernandez
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Portée avec beaucoup de justesse par Jeanne Mendoche, la bohémienne éponyme captive depuis le parvis. Triple objet de désir, Esmeralda danse insouciante, sans pouvoir jamais échapper au regard des hommes qui l’entourent. Son bourreau, Frollo (Renaud Delaigue), pose des yeux froids sur la jeune femme qui se refuse à lui. Au prêtre, elle préfère Phoebus (Martial Pauliat), capitaine de la garde d’une vulgarité sans borne. Une passion inexplicable au nom de laquelle son amant abusera d’elle. Relégué au second plan dans cette adaptation, Quasimodo (Christophe Crapez) n’en reste pas moins touchant, sauvé du pilori par l’héroïne.

Jeanne Desoubeaux insuffle un brin de folie à ce décor vertigineux où l’intimité est impossible. Une scène, largement imaginée, mêle par exemple ses musiciens et ses comédiens dans une taverne. Leur table était une estrade, elle deviendra un bûcher, ingénieux parti pris scénographique de Cécile Trémolières. C’est là toute la cruauté de ce spectacle ; ce qui restera d’un bout à l’autre, c’est cet immense échafaudage qui symbolise aussi bien la cathédrale Notre-Dame d’alors que son chantier aujourd’hui.

Si on remarque çà et là quelques longueurs, La Esmeralda fourmille de trouvailles esthétiques. La direction d’acteurs complexifie la psychologie des personnages, tendant en miroir une ambiguïté qui fait qu’aujourd’hui encore, le féminisme reste un énorme chantier.


La Esmeralda de Louise Bertin et Victor Hugo
Théâtre des Bouffes du Nord

37bis, Boulevard de la Chapelle
75010 Paris
Jusqu’au 3 décembre 2023
Durée 2h environ
Spectacle déconseillé aux moins de 13 ans – certaines scènes, notamment de violences sexuelles, peuvent heurter la sensibilité du public.

Tournée 
8 et 9 décembre à l’Opéra du Grand Avignon
18 janvier au Centre d’Art et de Culture de Meudon
2 février à l’Opéra de Vichy
30 et 31 mars à l’Opéra de Tours

Opéra de Louise Bertin
Sur un livret de Victor Hugo
Mise en scène et adaptation de Jeanne Desoubeaux
Direction musicale et arrangements de Benjamin d’Anfray
Avec Christophe Crapez, Arthur Daniel, Renaud Delaigue, Jeanne Mendoche, Martial Pauliat
Ensemble Lélio – Benjamin d’Anfray : Piano romantique, Lucie Arnal : Violoncelle, Roberta Cristini : Clarinette, Marta Ramirez : Violon, Aline Riffault : Basson
Scénographie de Cécile Trémolières
Costumes d’Alex Costantino
Lumières de Thomas Coux
Son et plateau de François Lanièce
Régie générale et plateau – Paul Amiel
Collaboration artistique – Jérémie Arcache
Musique additionnelle de Gabriel Legeleux

© Théâtre des Bouffes du Nord

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