Ô tristesse, ô malheur, alors que le bonheur semble inoxydable, un beau matin tout s’écroule. Abandonnée sans préavis, une femme, une mère doit faire face à l’intolérable perte de sa moitié tant aimée. De cette banale histoire de fin de couple, Sophie Forte en fait le sel d’une comédie douce-amère, intelligente et drôle que la mise en scène décalée de Virginie Lemoine souligne avec ingéniosité.
Pauline (fabuleuse Sophie Forte) a tout pour être heureuse, un mari aimant (réservé William Mesguich) et deux charmantes et turbulentes fillettes (hillarant William Mesguich encore). Ce bonheur, qu’elle croyait éternel, s’effondre le soir où son mari lui annonce qu’il la quitte pour une autre. En colère, elle le vire aussitôt. Mais très vite, vient le moment des cris et des pleurs. Alors qu’elle semble désemparée, perdue, on toque à la porte. Elle ouvre. Un charmant et élégant jeune homme (épatant Tchavdar Pentchev) entre.
C’est le Chagrin qui vient épauler l’épouse délaissée. Il s’installe insidieusement dans son quotidien, l’accompagne dans ses moindres mouvements, gestes. Il est là pour longtemps. On ne se débarrasse pas comme ça de ce poids mort, de cette tristesse mélancolique. Si dans les premiers temps, il est un compagnon des plus compréhensif, lui évitant de tomber dans la vengeance la plus puérile, du courroux le plus froid très vite, il devient un fardeau des plus pénibles à porter, empêchant Pauline de faire le deuil de son amour perdu à jamais.
Avec l’humour décalé qui la caractérise, Sophie Forte s’empare avec espièglerie de ce triste moment qui sonne le glas d’une histoire d’amour et signe un texte drôle et émouvant sur cet après-bonheur. Elle conte par le menu tous les états que traversent cette femme, cette mère de famille qui, un jour, se retrouve abandonnée sur le coin d’un lit comme une vieille chaussette. Passant du rire aux larmes, de l’hystérie à la plus sombre des tristesses, bon an, mal an, elle apprend avec ce compagnon de fortune à se reconstruire, à se poser les bonnes questions qui vont lui permettre d’avancer.
Mêlant son univers, tout aussi barré à celui de Sophie Forte, Virginie Lemoine accentue l’humour décalé par une mise en scène délicate et parfaitement rythmée. S’appuyant sur des dialogues ciselés, des répliques bien senties un décor à tiroirs savamment pensé par Grégoire Lemoine, elle donne à l’ensemble une couleur, un ton plein de tendresse, de douceur et de mélancolie qui touche en plein cœur.
Si cette histoire de femme, si banale, si commune, nous bouleverse, nous charme, c’est qu’elle est portée par trois comédiens étonnants et singuliers. En tête des quels, Sophie Forte, admirable comme toujours. Vive, malicieuse, elle donne une profondeur éthérée et touchante à cette épouse larguée. Impassible, Tchavdar Pentchev campe avec aplomb et humour pince sans rire ce chagrin qui finira par être touché par sa troublante compagne. Enfin, William Mesguich est bluffant. Il se glisse avec une facilité déconcertante dans la peau de tous les personnages qu’il joue. Plus habitué à jouer les romantiques, les personnages du répertoire classique, il joue avec aisance les jeunes adolescentes bêcheuses, les amies égoïstes, les maris apathiques et froids.
En transformant ce drame conjugal en comédie décalée, riche d’auto-dérision, Sophie Forte et Virginie Lemoine signent un huis-clos délirant où les émotions sont mises à nu, les situations cocasses, gênantes exposées à vue pour notre plus grand plaisir. Une fantaisie amoureuse des plus savoureuses à déguster au plus vite !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Chagrin pour soi de Sophie Forte
Festival d’Avignon le OFF
Théâtre du Buffon
18, rue Buffon
84000 Avignon
jusqu’au 30 juillet 2017
Tous les jours à 16h35 relâches le 11, 18, 25 juillet 2017 et séances supplémentaires à 14h55 les 10, 17 & 24 juillet 2017
Durée 1h15
mise en scène de Virginie Lemoine assistée de Laury André
avec Sophie Forte, William Mesguich, Tchavdar Pentchev
musique de Stéphane Corbin
scénographie de Grégoire Lemoine
Crédit photos © Crédit Karine Letellier