Après trois éditions signées Brigitte Lefèvre, c’est autour de Didier Deschamps, ancien directeur de Chaillot – Théâtre national de la Danse, de prendre les rênes du festival de Danse Cannes Côte d’Azur. Avec doigté et ingéniosité, il poursuit le chemin tracé par sa prédécesseuse tout en y apportant sa propre sensibilité. Du changement dans une belle continuité.
© Gilles Traverso
Qu’est-ce qui vous a donné envie de prendre la direction du Festival de danse de Cannes ?
Didier Deschamps : Ce qui m’a motivé, c’est la possibilité d’établir de nouveaux contacts, de favoriser le lien entre public et artistes, d’offrir aux festivaliers de nouveaux horizons, d’ouvrir tout un champ des possibles et surtout de permettre aux curieux comme aux novices de découvrir des chorégraphes dont j’apprécie le travail, et dont je pense qu’ils apportent quelque chose d’important, un truc en plus à la danse. Cela étant, je trouve que cette biennale cannoise, qui existe depuis plusieurs années maintenant, occupe une place particulière dans la saison chorégraphique — de par sa date, novembre, période inhabituelle pour les festivals, et de par ce que Brigitte Lefèvre a impulsé. En développant les partenariats avec différentes structures, différentes, villes — sept réparties sur les départements Alpes-Maritimes et Var —, elle a permis de désenclaver la danse et d’ainsi offrir à tout un territoire une programmation de qualité hétéroclite et variées.
Quel projet souhaitez-vous développer ?
Didier Deschamps : Déjà, je ne me définis ni dans la rupture, ni dans la continuité. Je poursuis le travail entamé par Brigitte et j’y apporte ma touche. Je fais à mon idée. Beaucoup de choses mises en place ont trouvé un écho auprès des festivaliers. Je n’ai pas de raison d’y revenir. Après, il y avait des choses que je trouvais important de mettre en place, de modifier, en créant de nouveaux rendez-vous. Il me semblait nécessaire par exemple de renforcer les liens entre le festival et l’école de danse de Rosella-Hightower. Ainsi, nous avons décidé d’un commun accord de réunir une semaine durant les cinq écoles nationales supérieures, de danse. Cela va leur permettre d’échanger, de travailler ensemble. En ouverture de festival, soixante-dix jeunes élèves danseurs présenteront au palais des festivals une performance orchestrée par la directrice de la compagnie nationale de Norvège, Annabelle Bonnéry. En mettant en avant les professionnels demain, c’est une manière de montrer le dynamisme et la vivacité d’une discipline. Par ailleurs, Cannes est la ville du cinéma par excellence. J’ai donc demandé à Éric Oberdorff, chorégraphe, réalisateur et directeur artistique de la Compagnie Humaine, qui assure à mes côtés la co-direction du festival, d’imaginer une compétition internationale de court-métrages consacrés à la danse. Nommé MOV’IN Cannes, cet événement sera l’occasion de mettre en avant une centaine d’œuvres et d’artistes qui ont multiplié les liens entre danse et cinéma, ce stimulant l’un l’autre.
Quels sont les grands moments du festival ?
Didier Deschamps : Il y en a tous les jours. La programmation que j’ai imaginée est très variée. Elle permet d’avoir une sorte d’instantané de la danse d’aujourd’hui. Il y en a pour tous les goûts, de tous les courants. Rapidement, le week-end d’ouverture met face à face Sharon Eyal et Thierry Malandain, qui nous a réservé la primaire de sa nouvelle création qui mêle les Quatre Saisons de Vivaldi et celles de Guido. Deux styles et deux démarches très différentes. Cela donne le ton de ce que j’ai souhaité pour cette édition. En parallèle, j’ai proposé une carte blanche à la Compagnie nationale de Norvège, qui sera chorégraphiée par Elle Sofe Sara, une artiste Sami, qui évoquera l’histoire de ce peuple premier dont elle est issue toute sa démarche de chorégraphe, de plasticienne et de vidéaste vise justement à se souvenir du passé, des souffrances et des violences subies, tout en parlant de traditions et d’avenir. Par ailleurs, Wendy Cornu, artiste régionale, et sa compagnie Mouvimento présenteront leur dernière création Volutes. Le deuxième week-end, le danseur Antoine Le Menestrel prendra possession de la façade du Cinéum, magnifique bâtiment imaginé par Rudy Ricciotti, et lancera ainsi la première édition de MOV’IN Cannes en rendant hommage à Harold Lloyd, grande figure du cinéma dont on fête cette année les cent ans d’un de ses films les plus emblématiques, où on le voit gravir à mains nues la façade d’un building de Los Angeles. Le lendemain, la compagnie Kor’Sia jouera sa toute nouvelle pièce, Mont Ventoux, qui vient d’être créée il y a quelques jours à Madrid et s’inspire de l’ascension en 1336 par Pétrarque de ce célèbre sommet situé dans le Vaucluse. Enfin, pour le dernier week-end de la festivité, nous accueillerons la création de DUB, pièce d’Amala Dianor qui s’inspire des musiques et des danses de la génération Z et prévisage peut-être la danse de demain, ainsi que Sous les fleurs de Thomas Lebrun, une plongée apnéique dans le petit monde de la communauté Muxe. Il y aura d’ailleurs deux pièces de Flamenco : celle de David Coria et celle de Paula Comitre.
C’est très hétéroclite…
Didier Deschamps : La danse, comme tous les autres arts, s’empare des sujets de société. Il est donc normal que la programmation en soit le reflet et aborde tout ce qui nous questionne, nous traverse en tant qu’être humain. C’était aussi pour moi primordial de pouvoir présenter la diversité de la danse aujourd’hui. Je pense que c’est ce qui en fait la richesse autant que de montrer la multiplicité des thèmes qui traversent le monde. C’est aussi une invitation au voyage à travers la présence de compagnies qui viennent de très loin. Aujourd’hui, il est plus que jamais nécessaire d’aller à la rencontre de l’autre. Par ailleurs, nous avons mis une place de nombreux ateliers auxquels le public peut participer et ainsi pratiquer la danse. Cela permet de partager, de faire partie de l’écosystème artistique.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Festival de Danse de Cannes Côte d’Azur France
Du 24 novembre au 19 décembre 2023