© Nicolas Clausen

Lali Ayguadé sur les ruines de l’intime avec Runa

Lali Ayguadé a présenté "Runa" au Chai du Terral à Saint-Jean-de-Védas dans le cadre de la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée.

Dans le cadre de la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée, le Chai du Terral à Saint-Jean-de-Védas accueillait la chorégraphe espagnole Lali Ayguadé avec son spectacle Runa créé en 2022. Familière des répertoires de Forsythe, Brown ou De Keersmaeker, elle développe ici son identité marquée par un héritage conventionnel pour mieux s’en affranchir.

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Il y a dans le travail de Lali Ayguadé une évidente empreinte académique de la danse. Dans les chorégraphies qu’elle imagine en duo ou en solo pour Runa, les mouvements avec lesquels elle compose sont imprégnés d’une certaine tradition aux origines variées. Elle fait se rencontrer ici une écriture moderne – parfois à deux pas du breakdance –, un héritage de certaines danses folkloriques ou de salon, et des gestes très amples et fluides venus tout droit d’une approche très classique de la discipline. Dans la dramaturgie de son spectacle aussi, la chorégraphe propose une conception très lisible, presque attendue, dans une succession de tableaux qui se suivent avec beaucoup de rigueur et peu de place pour l’imprévu.

Pourtant, au cœur de ce cadre strict parvient à s’imposer toute la puissance du ressenti, de la passion, de l’émotion, et à travers eux une certaine transgression de l’immuable. À l’image du plateau, habillé ici et là de quelques éléments tendant à rappeler l’intérieur d’une intimité qui n’existe plus, Runa se construit à la frontière du figuratif et de l’abstrait. Partant précisément de ce qui peut être considéré comme scolaire, Lali Ayguadé et son partenaire Lisard Tranis s’offrent toute la liberté de développer une énergie nouvelle, leur propre énergie, au gré d’une interprétation qu’ils habitent de toute leur présence. Sur scène, la chorégraphe rayonne d’ailleurs particulièrement, impliquée dans son art jusqu’aux traits de son visage et à ses éclats de voix qui ne sont pas sans évoquer une profonde inspiration du flamenco.

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Des musiques électroniques lancinantes qui se mêlent à la voix fragile d’Edith Piaf passée sur tourne-disque, jusqu’aux lumières aux effets convenus qui dessinent malgré tout des images fortes et d’une belle esthétique, Runa suit bel et bien une même direction à tous les niveaux, confrontant la contemporanéité de l’écriture à une certaine histoire établie de la danse. De cette manière, la forme proposée par Lali Ayguadé rejoint son propos, qui cherche à interroger le regard que l’on porte derrière nous, sur un passé qui n’a laissé pour traces que les quelques ruines sur lesquelles on évolue désormais. Par un récit qui part de l’intime pour ouvrir une fenêtre sur le commun, la chorégraphe conçoit un spectacle qui donne corps à ce qui se ressent, et qui passe sous le spectre de la suggestion ce qui nous semblait concret.

Sous nos yeux, le lien qui unit le passé aux échos qu’il laisse en nous prend surtout forme dans une nostalgie sombre et écrasante. Il se lit ici comme les réminiscences d’une relation amoureuse qui aurait pris fin, et dont les souvenirs nous hantent au point de contrôler le corps, l’esprit ou l’âme de celui qui reste. Par le biais de cette relation révolue, Runa parvient à nous saisir par la question de ce que l’on ressent plutôt que par ce que l’on voudrait montrer, de ce que l’on retient malgré nous au-delà des apparences auxquelles on aimerait se rattacher. Ajoutant pour cela son propre trait artistique à un socle assurément académique, Lali Ayguadé, qui est notamment passée par l’école De Keersmaeker, trouve une véritable pertinence entre le fond, la forme et la démarche de son travail.


Runa de Lali Ayguadé
Chai du Terral – Saint-Jean-de-Védas
Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée
Durée 1h

Direction artistique : Lali Ayguadé
Interprètes : Lisard Tranis, Lali Ayguadé
Conseil artistique : Jordi Oriol
Assistante de direction : Fanny Cleyrat
Musique : Miguel Marín
Lumières : Conchita Pons
Scénographie : Martina Cabanas
Costumes : Ferran Casanova, Cristian Betancurt
Assistant scénographie : Sergi Pérez
Régie lumières : Gabriela Bianchi
Photographie : Nicolas Clausen

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