Pascal Kirsch © Florent Hermet

Pascal Kirsch, dans l’intimité de Bacon

Au festival du TNB, puis à la Comédie de Béthune, Pascal Kirsch reprend "Grand Palais" de Julien Gaillard et Frédéric Vossier, un pièce sur Francis Bacon.

Pascal Kirsch © Florent Hermet

Au festival du TNB, puis à la Comédie de Béthune, Pascal Kirsch reprend sa mise en scène de Grand Palais, pièce écrite à quatre mains par Julien Gaillard et Frédéric Vossier autour de la relation houleuse entre Francis Bacon et George Dyer. 

© Florent Hermet

Pascal Kirsch :

C’est Julien Gaillard, un des deux auteurs de la pièce qui m’a contacté. C’était en 2018, j’étais en pleine exploitation de la Princesse Maleine à la MC93. Il venait avec Frédéric Vossier, de finir le texte et souhaitait que je le lise. Il me l’a envoyé sans me dire quel en était le sujet. Il n’avait laissé aucune indication que derrière les personnages de Francis et George, se cachaient l’un des plus grands peintres du XXe siècle et son amant. De manière surprenante, mon cerveau a fait le lien. C’est-à-dire qu’au fur et à mesure de ma lecture des tableaux de Bacon me sont revenus, ceux avec George Dyer. L’autre chose qui m’a particulièrement saisi dans l’écriture, c’est une sorte de proximité avec celle de Sarah Kane. C’est par elle que j’avais découvert la poésie de TS Elliot, largement cité dans la partition de Francis, un poète qu’a beaucoup lu Bacon. Et alors j’ai compris de quoi il s’agissait et le texte m’est parvenu dans son entièreté. J’ai été happé par ce récit à deux voix, qui m’a profondément secoué. Très vite, j’ai eu envie de rencontrer les auteurs pour discuter avec eux de ce qu’il était possible de faire. D’autant qu’à la même période, Laurent Poitrenaux et Stanislas Nordey en faisait une lecture à Théâtre Ouvert. 

Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier - Mise en scène de Pascal Kirsch - Bacon © Cie Rosebud
© Cie Rosebud

Pascal Kirsch :C’est une idée de Frédéric. Il avait très envie d’écrire sur cette histoire d’amour tragique entre Bacon et George Dyer, et particulièrement sur la figure de George, sa mort tragique à l’ombre de la gloire de son amant. Cet homme qui vivait aux côtés d’un artiste flamboyant et qui a fini par s’y brûler les ailes, a laissé peu de traces. Autant sur l’un nous avons pléthore d’informations, autant sur l’autre, il y a peu de choses. C’est un anonyme de l’histoire de l’art, un « infâme » connu uniquement pour avoir été le modèle de son amant. Frédéric voulait raconter ça et a souhaité confier la partition de Francis à un autre auteur. C’est comme ça qu’il a contacté Julien, je crois.  Je suis retombé il y a peu sur un entretien pour la télévision Suisse de Bacon. C’est impressionnant de voir son éloquence, sa liberté de ton, de pensée. Dans un monde qui condamnait l’homosexualité, Bacon l’affiche sans se soucier du qu’en-dira-t-on, avec un tel aplomb, un tel naturel. J’imagine que Frédéric voulait parler de la difficulté de vivre à l’ombre d’un tel personnage, sur-éclairé, pour un homme lambda qui rêve de reconnaissance et qui n’existe, finalement, qu’à travers le regard, le désir, l’aura, l’argent, de l’autre. On comprend qu’à un moment, ce n’est plus supportable. Mais il n’y a pas d’explication unique au suicide de George.   

Pascal Kirsch : Je n’ai pas fait d’adaptation, j’ai juste redistribué quelques phrases pour rendre plus fluide, plus concrète la situation de départ. Je trouvais intéressant notamment qu’au moment où Bacon arrive devant la grande brasserie pour le diner inaugural de sa rétrospective au Grand Palais, certaines voix qui d’adressent à lui soient extériorisées (alors qu’elles ne le sont pas dans la texte original). Cela me permettait de mieux situer le moment critique qu’il vit, pris entre sa consécration en tant qu’artiste international et le drame intime qui s’abbat sur lui lorsqu’il découvre que son amant s’est suicidé dans leur chambre d’hôtel. Pour le reste, j’ai respecté scrupuleusement la partition telle que les deux auteurs l’ont écrite, c’est-à-dire une succession de monologues qui se répondent, d’où l’idée d’un espace scénique scindé en deux. Clairement, les deux protagonistes ne sont ni dans le même espace, ni dans le même temps. C’était important que la scénographie retranscrive cela. Je voulais que l’on sente la manière dont George hante Francis. Les matériaux choisis pour la scénographie sont volontairement réfléchissants, transparents, irisants mais aussi souples, mous ce qui crée des images déformées, des « accidents » comme dit Bacon. La lumière créée par Nicolas Ameil, utilise une palette de couleurs vives, non réalistes, qui tâchent les personnages. Et finalement sans que l’on ait cherché à imiter Bacon, son œuvre s’est invité sur le plateau. Il y a une seule image que nous avons avons clairement voulu recréer, c’est celle de George assis sur les toilettes qui rappelle non seulement le premier portrait qu’à fait de lui Bacon, en penseur de Rodin sur son trône, mais aussi la manière dont il l’a retrouvé mort et, plus tard, l’a représenté dans un bouleversant tryptique.

Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier - Mise en scène de Pascal Kirsch - Bacon © Géraldine Arestenu
© Géraldine Arestenu

Pascal Kirsch : lLe plus important était de trouver quel acteur pourrait interpréter Bacon. J’avais très peur que l’on singe Bacon, d’autant que c’est une star de l’art moderne, que tout est célèbre chez lui. C’était un artiste brillant, parfois cinglant. Je ne voulais pas qu’on est l’impression d’une imitation. J’ai donc plutôt cherché un comédien, un artiste qui aurait une analogie de parcours avec Bacon. J’ai assez vite pensée à Arthur Nauzyciel. Je me suis souvenu du premier spectacle que j’avais vu de lui. C’était La Mouette de Tchekhov. Son geste de mise en scène m’avait beaucoup impressionné par cette manière de se vouer si totalement à son art. C’était particulièrement sensible lorsque l’acteur qui jouait Treplev offrait littéralement ses larmes au public, avec ses mains. Plus tard, j’ai vu Splendid’s qu’il avait mis en scène. En lever de rideau il projetait le film de Jean GenetUn chant d’amour. C’est un film qui a longtemps été censuré, classé film porno gay, visible uniquement sous le manteau. Arthur avait choisi de le montrer dans des dimensions monumentales. Son rapport au désir, à l’art, me semblait correspondre à ce que je voulais montrer de Francis Bacon. Pour George, Vincent Dissez a créé le rôle et Guillaume Costanza le reprend à présent. Ce sont deux acteurs que j’adore, hyper doués, d’une sensibilité à fleur. Guillaume apporte une dimension encore plus érotique à cette relation que lors de la création. Il se trouve qu’entre lui et Arthur, il y a la même différence d’âge qu’entre Francis Bacon et George Dryer. Il y a entre eux quelque chose de l’ordre d’Éros et Thanatos. Le corps de George qui met fin à ses jours et la beauté unique de ce corps, hantent longtemps Bacon. C’est étrange et fort que Bacon ait continué à le peindre bien des années après sa mort alors qu’il n’avait peint jusque-là que des êtres chers, mais vivants. La troisième figure sur scène, ce double de George peut-être, qui accompagne, interpelle Francis, c’est Simon Bellouard, acteur mais aussi danseur, capable de donner une dimension sculpturale à cette figure onirique de veilleur de la conscience de Bacon.


Grand Palais de Julien Gaillard et Frédéric Vossier
Création à la Comédie de Reims en mars 2023
jusqu’au 18 novembre 2023 au Théâtre national de Bretagne dans le cadre du Festival du TNB à Rennes

Tournée 
les 23 et 24 novembre 2023 à la Comédie de Béthune, Centre dramatique national des Hauts-de-France

Conception et mise en scène Pascal Kirsch
Avec Guillaume Costanza, Vincent Dissez, Arthur Nauzyciel et Richard Comte (guitare et voix)
création lumières de Nicolas Ameil 
création et régie vidéo de Thomas Guiral 
ingénieur du son – Julien Podolak 
costumes de Virginie Gervaise 
construction de Théo Jouffroy 
conseil vocal – Pauline Leroy 
regard chorégraphique de Thierry Thieû Niang 
régisseur général de Clément Séclin 

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