Sélectionné pour participer à la quinzième édition du Festival Impatience en décembre 2023, Bertrand de Roffignac reprend aux Amandiers, son rôle d’Arlequin dans Ma Jeunesse exaltée d’Olivier Py. Habité d’une flamme, d’une fougue, le comédien, auteur et metteur en scène trace sa route hors des sentiers battus et affirme un style baroque autant que kitsch décalé.
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Grand brun, le regard exalté, fiévreux, Bertrand de Roffignac ne passe jamais inaperçu, silhouette longiligne cintrée dans un ensemble cordonné noir qu’il a lui-même « customisé » avec des écussons de toutes les couleurs. Installé à l’arrière du café du Vieux-Châtelet, se posant après une matinée de répétition, il sirote un café, lit un journal. Le verbe haut, les mains volubiles, cet enfant de la balle a le théâtre dans la peau.
Dans les coulisses du théâtre du Soleil
Dès l’âge de quatre ans, il participe à des petits cabarets, des spectacles dans le petit village de Fillols, au pieds du Mont Canigou, où il passe tous ses étés avec sa mère. Elle est un sacré personnage, toujours là dans l’ombre à faire en sorte que tout se passe bien. Véritable soutien pour l’artiste, pour le fils, elle a été tour à tour directrice du Palais des Glaces, manageuse dans la musique, notamment du groupe Les VRP, puis clown après avoir suivi une formation chez Jacques Lecoq. À ses treize ans, elle l’emmène pour la première fois au Théâtre du soleil. Pour voir Les Éphémères. « Ça a été un vrai choc. Devant mon enthousiasme, elle m’a proposé de les aider. Au début, j’y allais par intermittence, puis de plus en plus souvent.Je prenais beaucoup de plaisir à ne pas aller à l’école, à faire autre chose de mes journées qu’être assis dans une salle de classe. Je servais d’homme à tout faire, je déplaçais les décors, à l’époque, Ariane Mnouchkine préparait Les Naufragés du Fol-espoir. »
Du feu dans les yeux, le jeune comédien semble revivre, en même temps qu’il la raconte,, cette expérience qui a été fondatrice pour lui. « Je crois que ce qui me fascinait le plus, c’était la vie de troupe. Je sentais que c’était cela que je voulais reproduire plus tard, revivre cette aventure. C’était à l’époque très inconscient, car je voulais plutôt faire de la musique, être parolier, avoir un groupe de rock. J’étais fan de Bashung, de Nick Cave, des Nine Inch Nails. Et puis mon père était ingénieur du son, j’ai donc grandi dans un univers où le son, la musique étaient omniprésents. » Mais au contact d’Ariane et du Soleil, tout change. Bertrand de Roffignac s’inscrit dans un conservatoire d’arrondissement. « Je suis allé là où on voulait bien de moi, j’ai appris à dompter mon énergie, puis tout s’est enchaîné. Je suis rentré dans la foulée au Conservatoire national supérieur d’art dramatique. »
L’écriture comme une nécessité
Le débit rapide, le verbe accéléré, le comédien évoque son goût pour les marionnettes de Philippe Genty, pour les comédiens comme James Thierrée, Denis Lavant ou Christian Hecq, pour les spectacles fantasmagoriques. Passionné par tout ce qui l’entoure, il observe, scrute, se perd dans ses pensées pour revenir aussi sec dans le temps présent. Derrière l’image de l’artiste bohème chic se cache une âme pleine de sensibilité, de doutes, de fantômes. L’imagination fertile, depuis son adolescence, il couche sur le papier ses pensées, esquisse des bouts de scénario, invente des chansons. « L’écriture dramaturgique est arrivée plus tard, comme une nécessité. C’était au conservatoire. J’avais décidé d’adapter Les Justes de Camus, mais très vite je me suis senti frustré. J’ai eu besoin d’éclater la pièce, de faire des montages quasi castorfiens avec un corpus de texte élargi pour me l’approprier plus intimement. » Le constat de cette expérience c’est que si je voulais assumer un geste encore plus radical, il fallait que je me lance dans l’écriture de mes propres spectacles, il fallait que je prenne ce risque. »
Passionné de cinéma, il puise son inspiration dans les films de genre, qu’il affectionne particulièrement mais dont il réfute la nomination tant cela en réduit le champ. « J’aime quand ce n’est pas conformiste, quand il y a un pas de côté avec le réel, que c’est à la frontière du fantastique. » Artiste jusqu’au bout des ongles, il aime l’underground, les artistes maudits. Grand lecteur de Céline, de Pierre Guyotat, et Don DeLillo, ce qui l’intéresse avant tout, c’est le style, que cela râpe, que rien ne soit évident, que l’univers qu’on lui propose soit une pure fiction. « J’ai aussi une admiration sans borne pour des auteurs plus pop comme Moore, Herbert ou Asimov qui sont capables de déployer des univers au fonctionnement autonome, possédant une parfaite cohérence géopolitique, sociale et économique. J’aimerais arriver à faire cela au théâtre, à créer un attachement analogue entre mon œuvre et le public mais j’ai l’impression que c’est une bataille particulièrement difficile à mener ; le médium théâtral offre des moyens de représentation infinis mais la durée de la plupart des spectacles nous limite dans la construction de ce lien, à l’exception de certaines grandes fresques… »
La révélation Py
Justement, créateur d’une poignée de spectacles et comédien pour d’autres metteurs en scène, Bertrand de Roffignac se fait connaitre du grand public en 2022, au Festival d’Avignon, grâce à la pièce fleuve d’Olivier Py, Ma jeunesse exaltée. « C’était une expérience incroyable. Olivier m’a fait un tel cadeau en m’offrant ce texte. C’est immense pour un artiste de tenir le plateau dix heures durant, entracte compris. C’est une vraie traversée physique et émotionnelle que ce soit sur scène ou pour le public. Avec ingéniosité, Olivier a précipité dans cette pièce tous les styles théâtraux, du mélodrame à la comédie en passant par la tragédie. C’est tellement vertigineux. »
Au plateau, il incarne Arlequin, une créature surréaliste, un démon, rôle qui lui a valu le prix de la révélation du Syndicat de la Critique. Jamais à l’arrêt, toujours en tension, il brûle les planches de sa présence survoltée. « Ce qui est très fort avec ce personnage totalement incandescent, c’est qu’il demande un travail du corps permanent. C’est particulièrement intense, car c’est par la chair, la peau, les muscles tendus que les émotions passent. C’est un style de jeu quasiment expressionniste et cela permet de transcender le texte, de le rendre intelligible par n’implore qui, même s’il ne parle pas la langue. » La rencontre a été tellement évidente entre ces deux écorchés de la vie que le comédien est au générique du prochain film d’Olivier Py, Le Molière imaginaire, une évocation de la vie du célèbre dramaturge.
Une troupe à soi
Vivant à mille pour cent, Bertrand de Roffignac n’a pas pour autant mis ses projets entre parenthèses. Après avoir créé cet automne, au Cirque électrique, le deuxième volet de son triptyque théâtral autour de la figure de René Obscur, une sorte de double déjanté de lui-même, il présentera la première partie de cet objet de théâtre non identifié au Centquatre, dans le cadre du festival Impatience. « Après le conservatoire, avec une bande d’amis nous avons constitué une troupe. Ensemble nous créons avec les moyens du bord des spectacles ambitieux sur le plan visuel et technique. Avec peu de moyens, mais beaucoup d’engagement, on arrive à se débrouiller, à monter des projets comme on l’entend, c’est une équipe de passionnés. Les sept colis sans destination de Nestor Crévelong, le premier opus de la trilogie, a été créé en une dizaine de jours. Le Théâtre de Vanves, qui avait déjà accueilli l’une de mes créations précédentes (Fils de Chien, un solo dans lequel Bertrand de Roffignac incarnait un aristocrate cannibale clochardisé, ndlr.), m’a proposé une carte blanche. J’ai foncé. J’ai appelé tout le monde, les techniciens et les comédiens avec qui je travaille, on ne s’est pas posé de question on s’est mis tout de suite au travail, et on l’a fait. C’est une des choses qui m’anime le plus en tant qu’artiste. »
Le vent en poupe, le jeune artiste ne s’en laisse pas conter pour autant. Il poursuit son rêve, travailler avec sa troupe, monter ces spectacles qui lui ressemblent fiévreux, fougueux, extravagants, démesurés et décalés. « Après Avignon, on m’a proposé beaucoup de solo. C’est sans doute dû aux problèmes économiques que traverse le secteur. Ça devient très difficile pour les jeunes auteurs d’écrire des pièces hors normes s’ils veulent être joué. Mais il faut continuer à agir en ce sens car mettre au jour des oeuvres apparemment impossible à porter et des grands rôles qui repoussent les limites physiques de l’acteur sont les meilleurs moyens de revivifier le Théâtre ; de créer des poches d’espérance artistiques et politiques pour notre génération. » Dans les starting-blocks pour la suite de sa trilogie, qu’il espère créer en 2025, Bertrand de Roffignac croit en sa bonne étoile. Singulier, étonnant, à la fois ténébreux et lumineux, l’artiste trace sa route. Il n’y a plus qu’à le suivre.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Ma Jeunesse exaltée d’Olivier Py
Création juillet 2022 au Festival d’Avignon
Théâtre des Amandiers de Nanterre
7 avenue Pablo Picasso
92000 Nanterre.
Du 11 au 19 novembre 2023.
Samedi et dimanche à 11h.
Durée 11h entractes compris.
TNP de Villeurbane
8 Pl. du Dr Lazare Goujon
69100 Villeurbanne
Samedi 25 et dimanche 26 novembre 2023 à 11h.
Les Sept Colis sans Destination de Nestor Crévelong de Bertrand de Roffignac
Festival Impatience
CentQuatre-Paris
5 rue Curial
75019
13 et 14 décembre 2023