À l’Athénée – Théâtre Louis Jouvet, dans le cadre du dispositif Prémisses et en solidarité avec l’action du Théâtre Les Déchargeurs hors les murs, Mélie Néel présente sa toute première pièce Méduses, un monologue à plusieurs voix sur les violences sexuelles. Rencontre avec une artiste volontaire et prometteuse.
© Raoul Gilibert
Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du théâtre ?
Mélie Néel : L’option théâtre au lycée. Ça a littéralement changé ma vie. J’étais scolarisée à Lyon dans un établissement qui avait tissé un partenariat avec un grand nombre de salles de la métropole. Ce qui fait que chaque saison, nous avions la possibilité de voir une dizaine de spectacles. À cette époque, j’avais 15-16 ans, je découvrais le monde. Et par le théâtre, j’ai eu la chance d’aller bien au-delà de mon quotidien. Mais je pense que le premier déclic a été Ma Chambre froide de Joël Pommerat. Ça été un vrai choc artistique et visuel, comme si tout était possible, comme si le théâtre devenait accessible et que j’avais le droit d’en faire mon métier. À partir de ce moment, je n’avais plus que cela en tête.
Quel est votre parcours ?
Mélie Néel : je n’ai pas un parcours classique. J’ai été refusée par la plupart des conservatoires. Ce qui ne m’a absolument pas freinée dans mon désir de faire du théâtre. J’ai choisi de passer par un parcours universitaire, une licence de théâtre à Lyon puis un master en recherche et création à Paris VIII. Je suis donc rentrée dans le secteur de l’art vivant par la recherche. Malgré tout, même si j’ai passé beaucoup de temps derrière un ordinateur ou à lire Bourdieu, j’ai toujours, à côté, maintenu une pratique de théâtre amateur.
Et écrire votre propre pièce ?
Mélie Néel : Cela s’est fait en plusieurs étapes. Je suis de la génération internet, j’ai donc comme beaucoup commencé à écrire sur des forums. Ce que je couchais avant dans des cahiers, je le publiais sur la toile. Mais très vite, il y a eu cette envie de créer des personnages, de faire rire mes amis. En troisième, je me souviens j’avais imaginé une fiction en dix chapitres où intervenaient tous mes camarades de classe. Rien n’était réel, tout était parodique et délirant. Tous l’ont lu et ont beaucoup aimé. De ce premier essai dramaturgique, j’ai retiré une grande fierté et surtout l’envie de poursuivre le geste. D’abord, c’était au sein de compagnies, dans le cadre d’écriture au plateau. Et puis l’envie de me lancer un défi, d’essayer en solo d’écrire mon premier texte. Après un long processus, plusieurs brouillons, des bribes de petites choses par-ci, par-là, le confinement aidant, j’ai fini par produire la première version de Méduses, que j’ai tout de suite fait lire à deux amies proches avec qui j’avais fondé, à la sortie de la fac, une compagnie de théâtre : Noémie Schreiber et Cécile Roqué Alsina, qui sont devenues depuis mes metteuses en scène. Ensemble nous avons retravaillé le texte, puis on l’a, dans la foulée, envoyé à Artcena. Leur intérêt pour Méduses a déclenché tout une série d’événements, qui ont clairement permis au projet d’aboutir. J’ai aussi eu la chance d’être soutenue par le Théâtre du Hublot, qui m’a permis de mener à bien cette aventure, de monter mon propre spectacle, notamment avec des temps de résidence.
Méduses à des airs d’autobiographie…
Mélie Néel : Cela fait partie du mystère et interroge les spectateurs. C’est aussi ça le théâtre, jouer sur le vrai du faux. Du fait que j’ai écrit le texte et que je le joue, la question se pose. C’est plus complexe que cela. Il y a une forme d’ambiguïté. Évidemment, il y a un peu de moi dans ce texte, mais pas que. C’est un mélange de plein de choses. J’ai en effet participé à un groupe de parole pour victimes de violences sexuelles. Cela a nourri mon propos, m’a permis d’étoffer mon récit. D’autant que c’était à la période du #MeToo, où la parole s’était enfin décomplexée. J’avais besoin de m’exprimer, de donner mon regard, un autre point de vue. Parler du viol, des agressions sexuelles, était essentiel, nécessaire, car ce que les personnes, que je côtoyais dans ces groupes, étaient traversées par des soucis plus pragmatiques, plus en lien avec le quotidien que ce que je voyais sur scène. C’est de ce décalage qu’est né Méduses. Après tout est dans l’interprétation, dans ma manière de s’approprier la pluralité des voix que j’entremêle dans mon texte. Ce qui est vrai, ce qui est faux, cela n’appartient qu’à moi.
Qu’est-ce que cela fait de jouer son propre texte ?
Mélie Néel : C’est assez déstabilisant et compliqué. Quand on relit ses propres mots, on a toujours l’impression que c’est nul, que cela n’a pas d’intérêt. Après l’avantage, c’est qu’avec les metteuses en scène, on peut toujours retravailler le texte, faire des coupes. Ça permet du coup de grandes libertés. Mais je crois profondément que j’avais besoin de le porter moi-même pour avancer.
Que représente pour vous d’avoir été lauréate du prix Vite mais pas court ?
Mélie Néel : C’est très important, car avec ma compagnie Corpuscules, cela fait à peine deux ans et demi que nous existions. Après avoir présenté Estonia 94, notre pièce précédente, dans plusieurs théâtres franciliens, on avait besoin d’un coup de projecteur pour avancer. Le prix nous a apporté une forme de reconnaissance et un sentiment que les choses ne sont pas vaines. Plus concrètement, cela a débloqué des choses financièrement, des subventions, et ainsi permis de concrétiser nos projets, de débloquer quelques dates. Je dois beaucoup à Rémi Prin et Emmanuelle Jauffret, les deux fondateurs de ce prix. Ils m’ont non seulement donné ma chance, mais aussi, quand le Théâtre des Déchargeurs a fermé, de rebondir. C’est grâce à eux que je me retrouve à l’Athénée aujourd’hui. Ils m’ont mise en contact avec Raphaël de Almeida du dispositif Prémisses. Et grâce à leur soutien, nous avons pu sauver six dates
Avez-vous d’autres projets ?
Mélie Néel : oui toujours. Je multiplie les expériences, que ce soit en tant qu’assistante à la mise en scène, ou en animant des ateliers d’écriture. En parallèle de mes spectacles, je fais aussi un peu de communication. Cela me permet de vivre. L’an dernier, j’ai participé au festival TAPS à Strasbourg dédié aux écritures contemporaines. J’ai ainsi pu rencontrer pas mal de gens du métier, dont certains m’ont passé commande de textes. C’est un début, c’est assez exaltant.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Méduses de Mélie Néel
L’Athénée – Théâtre Louis Jouvet
2-4 square de l’Opéra Louis-Jouvet
75009 Paris
Jusqu’au 18 novembre 2023
durée 1h15
Mise en scène de Noémie Schreiber & Cécile Roqué Alsina
avec Mélie Néel
Création lumières de Noémie Richard
Scénographie de Simon Primard