Tout commence par un meurtre dans une église florentine, la nuit du 31 décembre 1556. Celui de l’artiste toscan Jacopo de Pontormo. Peintre du XVIe siècle, un des pionniers du maniérisme, il travaille, depuis plus de onze ans, à la demande de Duc de Florence, à une fresque monumentale qui doit concurrencer la Sixtine de Michel Ange. Magistrale pour les uns, sacrilège pour les autres, l’œuvre, qui sera détruite finalement en 1738 en raison de connotations religieuses non orthodoxes, attise autant les convoitises que l’opprobre. Fini le temps des bacchanales, la Renaissance vit ses dernières heures, l’inquisition romaine menée par le pape Paul IV impose que les corps nus soient couverts pour ne pas offenser dieu.
Mandaté par le Cosme de Médicis, le peintre et architecte Giorgio Vasari mène l’enquête. Dans un contexte politique tendu, l’artiste n’est pas au bout de ses surprises. De complots en intrigues de palais, les pistes se multiplient, les apparences sont souvent trompeuses. Avec ingéniosité et un sens inné de la mise en perspective, Laurent Binet tisse un récit des plus haletants qui plonge le lecteur non seulement dans l’histoire intime des Médicis, mais aussi dans celle de l’âge d’or peinture italienne.
Plume acérée trempée dans le fiel et le venin, l’auteur de HHhH se nourrit des intrigues de l’époque pour en inventer d’autres tout aussi perverses. De Catherine de Médicis, alors Reine de France, à sa nièce la trop romantique Maria, en passant par Michel Ange et quelques autres artistes majeurs de la fin du XVIe siècle, il livre une fresque épistolaire passionnante et savoureuse. Polar autant que traité sur la peinture, que réflexion sur la place des femmes dans la société d’hier et d’aujourd’hui, sur le début des revendications syndicales, Perspective(s) lève le masque sur les animosités des uns, les bassesses des autres, les desseins machiavéliques des troisièmes. Construit à la manière des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, ce roman épistolaire se mérite. Il faut dépasser les premières pages, accepter de se perdre dans le dédale des personnages – une vingtaine au total – pour se laisser totalement emporter et séduire. Une belle découverte de cette rentrée littéraire !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Perspective(s), de Laurent Binet
Paru le 16 août 2023
Éditions Grasset
288 pages
prix conseillé, 21,50 €, numérique 15 €.