À partir de l’entretien de Michel Platini par Marguerite Duras paru en 1987 dans le journal Libération, Barbara Chanut et la compagnie Sochin présentent au théâtre de la Reine Blanche, un spectacle remarquable.
© Romy Alizée
1987 ! C’était la grande époque de « Libé », dirigé alors par Serge July. Il était impensable, si vous étiez de gauche, de ne pas l’avoir acheté et lu de bout en bout. Quelle n’avait donc pas été la surprise d’y découvrir, un mois de décembre, un entretien improbable entre la grande romancière Marguerite Duras, auréolé de son Goncourt, et le grand footballeur et jeune retraité Michel Platini. Le titre, digne du journal : Duras et Platini, un entretien complètement foot ! Si l’idée était totalement folle, elle était bonne, car l’échange entre ces deux personnalités que tout opposait a captivé le lectorat, qu’il soit footeux ou littéraire.
Sport et théâtre, match gagnant
Trente-six années sont passées. Barbara Chanut n’a même pas cet âge… La comédienne et metteuse en scène, lauréate du prix Talents Adami 2022, aime le théâtre et le sport. Elle est même karatéka de haut niveau. La jeune femme avait choisi ce texte pour sa sortie du conservatoire de Rennes, en 2017. Il devient le premier spectacle de sa Cie Sochin. Son intention est des plus claires : « Parler du football et de la littérature au théâtre, parler de Michel Platini et de Marguerite Duras, raconter une histoire ; un spectacle à la rencontre de deux légendes, à la croisée de leur art et de leurs vies. »
L’ange du stade
Le spectacle démarre sur Michel Platini racontant son dernier match. Le « roi Michel » quitte le stade en jeune retraité de trente- deux ans. Le texte, tiré de ses mémoires, est d’une force inouïe. Plus que jamais, la solitude se fait entendre. Cette introduction nous permet d’entrer dans les pensées et sentiments d’un jeune homme qui n’a vécu que pour le football et qui en fut une gloire. Neil-Adam Mohammedi est un athlète-dramatique de haut niveau, que l’on a pu découvrir dans les spectacles de Blandine Savetier au TNS et de Louis Barthélémy au Théâtre du Soleil.
Le comédien s’est emparé de ce texte avec la dextérité des grands interprètes. Il nous captive dès les premiers mots et jamais notre attention ne baissera. Seule sa coupe de cheveux, longue et bouclée, ainsi que le phrasé de l’homme timide, évoque le footballeur. L’incarnation est poussée à ce qu’elle a de magnifique. Comme aurait pu dire Duras : « Il est lui sans être lui ». Justement, où est-elle, Marguerite ?
Sacrée Marguerite !
Elle surgit des spectateurs, de son banc de touche pourrait-on dire. On ne l’avait pas vue venir parce qu’elle ne ressemble en rien à l’image de la Duras des années 1980, au corps usé par l’alcool. C’est une jeune femme, à la longue chevelure et au look des années 1950, jean et chemisier. L’idée est excellente, car cette jeunesse est celle de l’esprit, qui a certainement animé l’écrivaine lorsqu’elle a accepté la rencontre avec le footballeur. Cyrielle Rayet, issue de L’École du Théâtre Nationale de Bretagne, est une sensible comédienne qui possède, en plus d’un grand talent, une sacrée personnalité. Elle interprète les mots et les sentiments de Duras avec la dextérité d’une joueuse de tennis. Ça fuse et rebondit. Barbara Chenut a choisi en épilogue, de lui faire dire des passages du livre, Écrire. Abordant, en miroir à celle du sportif, la solitude de l’écrivaine.
« Cela a été mon match le plus dur ! » Michel Platini
Entre les deux monologues, il y a l’entretien entre Platini et Duras. Cyrielle Rayet et Neil-Adam Mohammedi font vibrer une joute verbale où tous les points sont marquants. Ils le sont par les sujets abordés, les réflexions soulevées mais ils le sont surtout pour tout ce qu’ils vont réveiller chez certains des spectateurs. À savoir, leurs souvenirs ! On trépide tout au long des échanges. La tragédie du Heysel, première horreur retransmise en direct à la télé, le monde du football de l’époque, les années Mitterrand, la politique, la société, tout cela m’a renvoyé à mes années d’études, à ma jeunesse… La nostalgie sera toujours ce qu’elle doit être !
Une mise en scène au cordeau
La mise en scène de Barbara Chenut est remarquable. Comme dans un stade, les spectateurs sont placés face à face. Entre nous, une aire de jeu où trône un carré de pelouse. Les couleurs au sol sont vives, du bleu, du rouge, du vert. C’est là que tout va se passer dans de beaux mouvements. Tel un arbitre, installé entre le public, il y a Liza Lamy, du collectif Vel Cro, qui crée en direct l’ambiance sonore. Et puis, il y a l’intervention fine et ingénieuse de la metteuse en scène, qui interpelle Duras et la questionne. C’est l’arroseur arrosé ! La dramaturgie de Louis Ripault est remarquable. Comme c’est réjouissant de découvrir de jeunes artistes aussi prometteurs !
Marie-Céline Nivière
Duras – Platini, d’après l’interview des 14 et 15 décembre 1987 publiée dans Libération.
Théâtre de la Reine Blanche
2 bis passage Ruelle
75018 Paris.
Du 25 octobre au 26 novembre 2023.
Mercredis et vendredi à 21h, dimanche à 18h.
Durée 1h20.
Mise en scène de Barbara Chanut.
Avec Neil-Adam Mohammedi, Cyrielle Rayet, Liza Lamy, Barbara Chanut.
Dramaturgie de Louis Ripault.
Régie générale et co-création lumières de Clément Balcon.
Co-création et régie lumières de Rose Bienvenu.
Création sonore de Liza Lamy.
Conseils costumes de Lucie Duranteau.
Le spectacle a reçu le label « Olympiade Culturelle » de la part de Paris 2024.