À Zingaro, Bartabas poursuit avec Femmes persanes, son retour aux sources du cabaret équestre entamé en 2021. Loin de la fureur de la ville, des bruits du monde, il signe une œuvre contemplative toute en délicatesse et langueur, qui porte en son sein la révolte sourde des femmes d’ailleurs et d’ici !
© Hugo Marty
Sous le célèbre chapiteau de bois situé dans l’enceinte du Fort d’Aubervilliers, transformé depuis 2021 en cabaret, le sable a laissé place à une étendue d’eau rouge sang. Au centre, une chaise d’écolière attend d’être occupée. L’image est puissante quand on sait qu’en Afghanistan, les talibans de nouveau au pouvoir ont fermé l’accès de l’enseignement secondaire, des collèges, et des lycées aux jeunes filles. Sous le regard d’un homme portant masque d’âne, suspendu dans les airs, le port altier, la mine déterminée, Perrine Mechekour, qui nous a tant séduit l’an passé lors de l’hommage rendu par Bartabas aux Irish Travellers, prend place au cœur de l’arène. Portée par la musique jouée en direct par quatre musiciennes iraniennes – Firoozeh Raeesdanaee, Shadi Fathi, Farnaz Modarresifar, Niloufar Mohseni – elle se dresse face aux interdits, aux mules et autres équidés qui l’ont suivi et la dévisage.
La danse des femmes
Le ton est donné. Il sera féminin et féministe. Le célèbre cavalier et metteur en scène embrasse le combat des Iraniennes, des Afghanes, des Persanes. Il leur offre une tribune, un lieu de revendication, où elles peuvent exprimer autant leur rage, leur fougue que leur sensualité. Menant la danse, elles chevauchent fièrement leur destrier. Légères, elles virevoltent sur leur croupe. Tantôt les gestes tranchent l’air, tantôt, ils se font caresse. Portant habits traditionnels croulant sur les pierreries ou couvertes d’un voile, rarement d’un tchadri, elles revendiquent l’héritage d’une culture ancestrale matriarcale et défient par la même occasion leur propre condition dans des sociétés des plus sexistes et patriarcales.
Bravement, elles assument leurs formes, muscles secs pour les unes, silhouettes rondes pour les autres. Elles n’ont peur de rien et surtout pas de ces hommes qui avancent masqués sur des ânes récalcitrants. Elles sont lumière et poésie. Ils sont obscurantismes et répressions. Avec une acuité rare, une intelligence du plateau Bartabas s’efface pour que seules ses acrobates, ses cavalières, ses circassiennes, ses comédiennes et ses musiciennes irradient la scène. Graves parfois, virtuoses toujours, drôles souvent, elles sont le cœur battant de cette nouvelle création du théâtre équestre Zingaro, moins évidente que les deux cabarets précédents, mais clairement plus exigeante.
Des chants, des larmes, de l’espoir
De l’hirsute Catherine Pavet qui joue à coups de percussions, de bruit de tempête, de fracas d’orage, les maîtresses de cérémonie, aux Iraniennes exil, qui font résonner haut et fort leurs instruments traditionnels, c’est tout un monde séculaire et fantasmagorique qui s’invite dans cette arène de sable chaud et d’eau carmine. Ici pas de combats de coq, pas d’effusions gratuites, de râles tonitruants, juste quelques mots égrenés, ceux charnels de Forough Farrokhzad et de bien d’autre poétesses persanes, quelques mouvements aériens, exécutés par Eva Szwarcer, qui, accrochée par le chignon, semble voler au-dessus dans une chorégraphie capillotractée, d’une beauté à couper le souffle, et quelques gestes pleins de fièvre, de suavité.
Œuvre méditative plus que sensationnelle, Cabaret de l’exil – Femmes persanes de Bartabas invite à la réflexion, à laisser le temps filer, à se laisser porter par autre chose que le rythme effréné de nos vies citadines. Mais qu’on ne s’y trompe pas, le combat est là sous-jacent. C’est poings levés que dans un dernier baroud d’honneur, nos artistes émérites et féministes traversent une dernière fois la scène. Bravo !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Cabaret de l’exil – Femmes persanes de Bartabas
Théâtre équestre Zingaro
Au Fort d’Aubervilliers
176 Av.enue Jean Jaurès
93300 Aubervilliers
jusqu’au 31 décembre 2023, prolongation du 12 janvier au 31 mars 2024
à partir de 7 ans
Durée 1h30
Scénographie, conception et mise en scène de Bartabas
Assistante à la mise en scène – Emmanuelle Santini
La troupe :
Musiciennes : Chant et Kamantcheh : Firoozeh Raeesdanaee, Setar ; Shourangiz et Daf : Shadi Fathi ; Santûr : Farnaz Modarresifar ; Tombak : Niloufar Mohseni
Création sonore, percussions de Catherine Pavet
Artistes : Bartabas, Amandine Calsat, Sahar Dehghan (danseuse), Stéphane Drouard (Fildefériste), Marion Duterte, Johanna Houé ,Camille Kaczmarek, Perrine Mechekour, Alice Pagnot, Tatiana Romanoff, Emmanuelle Santini, Alice Seghier, Eva Szwarcer (capillotraction)
Micos : Henri Carballido, Yaël Coudray, Volodia Girard, Florent Mousset, Paco Portero
Chevaux & ânes : Corto, Dun, Famoso, Guerre, Hamadan, Harès, Héragone, Hercule, Houblon, Inca, Isope, Ispahan, Jade, Kaboul,
Kandahar, Karaj, Kawa, Pablo, Parade, Qom, Raoul, Tabriz, Téhéran, Vino, Zurbaran, la Mule et l’Âne, et la mule Chiraz
Responsable des écuries : Johanna Houé
Groom de Bartabas : Ludovic Sarret
Soins aux chevaux : Julie Boucherot, Caroline Viala
Création costumes : Chouchane Abello Tcherpachian
Costumiers : Eloise Descombes-Rotella, Jean Doucet, Anne Véziat
Assistantes costumière : Gwendoline Grandjean, Tifenn Morvan
Patineuse : Léa Deligne
Habilleuses : Isabelle Guillaume, Cléo Pringigallo, Clarisse Véron
Accessoiristes : Samuel Babinet, Delphine Cerf, Romain Duverne, Juliette Nozieres, Sébastien Puech
Masque d’âne : Cécile Kretschmar
Directeur Technique : Hervé Vincent
Son : Juliette Regnier
Lumière : Clothilde Hoffmann, Léa Mathé
Techniciens plateau : Laurent Bureau, Pierre Léonard Guétal, Christelle Naddéo, Erwan Tur
Technicien de maintenance : Ouali Lahlouh
Dessin affiche : Serena Luna Raggi