Il y a bien des pans de notre histoire que nous connaissons peu, que nous avons oubliés ou qu’on ne nous a pas appris. À n’en pas douter, les trois révoltes qui convergent dans la pièce Kaldûn, dernière création d’Abdelwaheb Sefsaf, en font partie. Ici, dans les années 1870, le sort des Communards rejoint celui des Berbères que l’on condamne au bagne, dans une colonie aux antipodes de la métropole. Mais cette Nouvelle-Calédonie convoitée par la France est déjà la terre des Kanaks, bien décidés à ne pas laisser l’histoire de leur peuple être spoliée par un envahisseur prétendument supérieur.
Passionné d’histoire, le metteur en scène récemment nommé à la tête du CDN de Sartrouville ne tarde pas à nous avertir : rien de ce qui sera porté au plateau n’a été inventé, ou presque. Même certains éléments de décor sont reproduits quasi à l’identique, comme pour rappeler que la mise en scène, qui tient ici de la création artistique, a servi, en d’autres temps pas si lointains, à l’humiliation et à l’asservissement de certaines populations. Autour de ces éléments, la scénographie de Souad Sefsaf, augmentée des lumières d’Alexandre Juzdzewski, s’impose avec beaucoup de pertinence et d’ingénierie, à l’image des trois récits qui se rencontrent, s’apprivoisent et finissent par s’imbriquer dans une fluidité implacable.
Prendre l’histoire comme elle vient
Indissociable du travail artistique d’Abdelwaheb Sefsaf, la musique composée par Aligator trouve une place précieuse dans la conception de Kaldûn. Autour d’elle, des chants aux instrumentaux, s’articule une épopée historique dans laquelle on plonge sans retenue… et loin de toute didactique ! Voilà certainement le point d’entrée le plus délicat pour un tel sujet, approché ici avec beaucoup de finesse.
Sobrement vêtu d’une chemise et d’un pantalon noirs, micro attaché à la ceinture, le metteur en scène gravite autour du plateau et s’autorise, avec parcimonie et un brin de détachement, quelques parenthèses visant à offrir au public des clés de contextualisation bien choisies. Rien de plus, rien de trop, aucune leçon à donner ou à recevoir. Pour le reste, la dramaturgie fait son œuvre. L’écriture est complexe par les propos qu’elle aborde, et pourtant livrée avec une certaine évidence par les artistes qui la portent. Sous les traits d’une Louise Michel plus vraie que nature, Johanna Nizard emporte dans sa justesse et son énergie sans faille une distribution pluridisciplinaire dans laquelle chacun trouve sa place.
De la matière du texte au travail du son, des costumes soignés à la vidéo dont on use avec modération… rares sont les spectacles qui nous donnent ainsi le sentiment que rien n’a été laissé au hasard. C’est pourtant peu de dire que, sur le papier, Kaldûn représente un défi de taille, pour les artistes comme pour les spectateurs. Mais la générosité des uns rejoint ici la curiosité des autres, donnant lieu à une rencontre authentique et sans prétention dans cette création à laquelle on ne peut souhaiter que succès et longue vie.
Peter Avondo – Envoyé spécial à Sète
Kaldûn d’Abdelwaheb Sefsaf
Théâtre Molière – Sète, scène nationale archipel de Thau
Avenue Victor Hugo, 34200 Sète
Création le 19 octobre 2023
Tournée
14 au 17 novembre 2023 à La Comédie de Saint-Étienne–CDN (42).
23 au 26 novembre 2023 au Théâtre des Quartiers d’Ivry CDN du Val de Marne (94).
29 novembre au 2 décembre 2023 au Théâtre de Sartrouville–CDN (78).
7 décembre 2023 au Sémaphore de Cébazat (63).
13 au 17 février 2024 au Célestins, Théâtre de Lyon (69).
14 mars 2024 au Théâtre Le Carreau, Scène nationale de Forbach et de l’Est mosellan (57).
Texte et mise en scène d’Abdelwaheb Sefsaf.
Avec Canticum Novum (Emmanuel Bardon, Henri-Charles Caget, Spyridon Halaris, Léa Maquart, Artyom Minasyan, Aliocha Regnard, Gülay Hacer Toruk) et avec Fodil Assoul, Laurent Guitton, Lauryne Lopès de Pina, Jean-Baptiste Morrone, Johanna Nizard, Malik Richeux, Abdelwaheb Sefsaf, Simanë Wenethem.
Assistanat à la mise en scène Jeanne Béziers.
Dramaturgie de Marion Guerrero.
Composition musicale d’Aligator (Abdelwaheb Sefsaf / Georges Baux).
Direction musicale de Georges Baux.
Arrangements et adaptation musicale d’Henri-Charles Caget.
Scénographie de Souad Sefsaf.
Costumes d’Emmanuelle Thomas assistée de Mélodie Barbe, Isaure Lecœur.
Création du crâne de Florian Poulin.
Lumière d’Alexandre Juzdzewski.
Vidéo de Raphaëlle Bruyas;
Son de Jérôme Rio.
Construction décor : Les Ateliers d’Ulysse et Guillaume Ponroy, Ivan Assael, Henri Meiffren, Romain Ducher, Margaux Chevalier.