C’est à un voyage au long cours qu’il faut se préparer à faire. Le spectacle, joué en changane et en portugais, dure 3h30 avec entracte. Mais il fallait cela pour explorer toute la richesse du roman de l’écrivain mozambicain. Et puis qu’est-ce qu’à côté de certains spectacles d’Ariane Mnouchkine ou de Wajdi Mouawad ! Victor de Oliveira a joué sous la direction de ce dernier, dans Œdipe Roi et Ajax de Sophocle et dans Tous des Oiseaux, et sous celle de Stanislas Nordey dans Incendies. Né au Mozambique, l’acteur a étudié le théâtre au Portugal puis en France. En tant que metteur en scène, il se promène régulièrement entre ces trois pays d’attache.
Raconter l’Afrique
Dans les spectacles qu’il monte, de Oliveira « interroge les thématiques de la guerre, de la colonisation, de l’altérité culturelle et des rapports et frontières qu’elle institue. » Les sables de l’empereur, créé en septembre 2023 Teatro Aveirense au Portugal, s’inscrit totalement dans ce processus de questionnement. En s’attaquant au passé, c’est à notre présent et du coup à notre futur qu’il s’adresse, tout comme à notre capacité de comprendre le monde tel qu’on nous l’a construit et tel que l’on aimerait le voir devenir un jour. Cela parle encore ! Et comme le dit Mia Couto, « Certains imaginent de façon illusoire qu’ils ont une seule identité. Au Mozambique comme dans le monde entier, les êtres humains sont entre des identités multiples. » Apprenons donc à vivre ensemble.
Splendeur et décadence
Dans cette fresque historique, il est question du Mozambique, colonie Portugaise à la fin du XIXe siècle. Le monde d’hier s’apprête à laisser place à celui de demain. Les rapports changent. Les révolutions ont bousculé l’ordre, l’industrialisation a changé les données économiques. Le Portugal n’échappe pas à la règle. L’Afrique, terre de toutes les convoitises, après des siècles de colonisation, commence à chercher de nouveaux repères. Le Mozambique portugais, entre ses traditions et l’attirance vers l’occident, va connaître de grands bouleversements. Si certains s’attachent à leurs prérogatives, d’autres rêves de faire bouger les choses, d’un côté comme de l’autre. Mais comme le dit l’auteur : « L’Histoire est plus complexe qu’une lecture qui mettrait d’un côté les bons, de l’autre les mauvais, d’un coté́ les héros, de l’autre les vaincus ».
La bataille d’Imani
Imani est le fil rouge de cette histoire complexe et captivante. Elle nous apparaît d’abord en vieille dame (magnifique Anna Magaia) nous faisant entendre un prologue d’une poésie magnifique. « … je ne suis pas née pour être une personne. Je suis une race, je suis une tribu, je suis un sexe, je suis tout ce qui m’empêche d’être moi-même. Je suis noire, je suis des Vatxopi, une petite tribu sur le littoral du Mozambique. »
Elle s’efface pour laisser apparaître la jeune fille qu’elle a été. Une gamine qui possédait plusieurs atouts pour sortir de l’ordinaire, la langue portugaise qu’elle maîtrise à la perfection, une intelligence peu commune et une beauté rare (émouvante Sofaida Moyane). Tout comme Juliette tombée amoureuse de l’ennemi Roméo, Imani aime Germano (Miguel Nunes). Elle est noire. Il est blanc. L’enfant qui viendra à naître sera métisse et porteur de promesse d’une liberté. Celle auquel le Mozambique accédera avec l’indépendance en 1975.
Un livre d’image, des personnages hauts en couleur
Le tricotage entre les faits historiques et l’histoire intime d’Imani fait toute la force de ce récit. La manière dont Victor de Oliveira la raconte sur scène est d’une grande puissance, mais également de toute beauté. C’est une fresque, alors plus que jamais la scénographie, très visuelle et esthétique, a son rôle à jouer. On entre dans un univers, où l’espace vide de la scène ne cesse de se remplir par des effets de toiles, de teintures suspendues, d’arbre-sculpture, de lumières, par des objets, et même d’un cheval. Chaque tableau porte sa couleur. Les surtitres en français, s’inscrivant sur la toile, deviennent partie intégrante. Victor de Oliveira signe une mise en scène impeccable, portée avec talent par, en plus de ceux cités, Elliot Alex, Isabelle Cagnat, Horácio Guiamba, Bruno Huca, Eunice Mandlate, Josefina Massango, Miguel Moreira, Lucrécia Paco, Daniel Pinto, Mario Santos, Klemente Tsamba. Bravo.
Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Lyon.
Les sables de l’empereur, d’après le roman de Mia Couto.
Les Célestins – Théâtre de Lyon
4 rue Charles Dullin
69002 Lyon.
Du 10 au 14 octobre 2023.
Du mercredi au vendredi à 19h30, samedi à 19h.
Durée 3h30 avec entracte.
Tournée
20 au 23 mars 2024 au Théâtre National Dona Maria II – Lisbonne.
27 au 30 mars 2024 à la MC93 – Bobigny.
3 au 4 avril 2024 à Malraux – Scène nationale de Chambéry.
Adaptation et mise en scène de Victor de Oliveira.
Traduction d’Élisabeth Monteiro Rodrigues.
Avec Elliot Alex, Isabelle Cagnat, Horácio Guiamba, Bruno Huca, Ana Magaia, Eunice Mandlate, Josefina Massango, Miguel Moreira, Sofaida Moyane, Miguel Nunes, Lucrécia Paco, Daniel Pinto, Mario Santos, Klemente Tsamba.
Scénographie de Margaux Nessi.
Lumière de Diane Guerin
vidéo d’Ève Liot
Musique originale Ailton Matavela.
Son de Samuel Gutman.
Collaboration dramaturgique de Leila Adham.
Peinture et sculpture de Butcheca
Costumes et accessoires de Sara Machado.
Assistanat à la mise en scène de Venâncio Calisto.
Régie générale de Camille Faure.