Faire du problème de Caligula un problème esthétique ne viendra pas sans une part de d’inconvenance. C’est la logique exposée par la pièce de Jonathan Capdevielle, créée à Gennevilliers à partir des deux versions écrites par Camus en 1941 et en 1958. Davantage que dans la mise en scène d’un univers social vraisemblable, la quête de pouvoir du despote se formule comme une croisade menée dans les formes même du spectacle, moyennant une possible mise en péril de la pièce au gré de l’invention d’une manière autre de faire le show. Laquelle saura entrer en résonance, sans forcer la ressemblance (c’est assez rare pour être signalé), avec certaines grandes figures actuelles de la scène politique.
Quand Capdevielle joue Caligula, la démesure du personnage rentre dans celle du comédien-metteur en scène, écrasant tout le monde sur son passage, transformant progressivement les personnages qui l’entourent en silhouettes dans l’obscurité. Il tue la parole en chuchotements gémissants, prend soudain un accent occitan, chante un air de reggaeton, convoque un DJ set sur le plateau, termine la pièce en string et perruque rose, impétueux, désinhibé. Et profondément arbitraire : son traitement du plateau et des autres comédiens relève en lui-même d’un rapport tyrannique aux choses communes. Autour de lui, la distribution se plie habilement à ce régime, à l’exception de Dimitri Doré en jeune poète qui résiste, vibrant.
Alchimie
Lorsque l’on peine à comprendre la logique à l’œuvre dans une pièce, quand celle-ci semble répondre à des lois chaotiques, erratiques, c’est parfois parce que des opérations alchimiques ont lieu sous nos yeux, et qu’il faut savoir les lire. Ainsi, au gré d’une progression vaporeuse qui met beaucoup de temps (toute une première partie flottante) à fixer la forme qu’elle doit prendre, la mise en scène se consacre à cette idée certes minimale pour deux heures quinze durant lesquelles il faut renoncer à vraiment entendre le texte, mais néanmoins catégoriquement assumée : faire de la plongée de Caligula dans le grand absurde une dégringolade de comédien vouée à s’achever dans un écran de fumée. Et à mesure que le désastre a lieu sous nos yeux, il finit par poindre, parfois maladroitement, mais suffisamment déjà, que dans cette laideur horrifique, Caligula parvient sans aucun doute à trouver une libre et vertigineuse beauté.
Samuel Gleyze-Esteban
Caligula d’après Albert Camus
Théâtre de Gennevilliers
41 avenue des Grésillons, 92230 Gennevilliers
Du 28 septembre au 9 octobre 2023
Tournée
Du 17 au 19 octobre 2023 Théâtre des 13 vents, CDN de Montpellier
Les 7 et 8 novembre 2023 Les Quinconces L’espal, Scène Nationale du Mans
Les 7 et 8 décembre 2023 Le Maillon, Scène européenne, Strasbourg
Les 13 et 14 décembre 2023 CDN de Besançon Franche-Comté
Le 19 décembre 2023 L’Onde Théâtre – Centre d’Art, Vélizy-Villacoublay
Du 14 au 16 mai 2024 Théâtre du Nord, CDN Lille Tourcoing Hauts-de-France
Les 23 et 24 mai 2024 Comédie de Béthune, CDN
Du 6 au 8 juin 2024 L’Arsenic, Centre d’art scénique contemporain, Lausanne
Conception et mise en scène : Jonathan Capdevielle
Assistante à la mise en scène : Christèle Ortu
Composition et mise en espace sonore : Vanessa Court
Lumière : Bruno Faucher
Musique originale : Arthur B. Gillette & Jennifer Eliz Hutt
Costumes : Colombe Lauriot Prévost
Atelier costumes : Caroline Trossevin
Scénographie : Nadia Lauro
Chorégraphie : Guillaume Marie
Régie générale : Jérôme Masson
Régie plateau : Léa Bonhomme
Coachs italien : Lavinia Lucia Marziale et Chiara Bucher
Construction scénographie : Ateliers Nanterre – Amandiers / Marie Maresca, Vincent Garnier, Charlotte Wallet, Michel Arnould, Jules Cruveiller , Myrtille Pichon, Nina Michel, Albin Farago
Avec : Adrien Barazzone, Jonathan Capdevielle, Dimitri Doré, Jonathan Drillet, Michèle Gurtner, Arthur B. Gillette & Ignacio Plaza Ponce (en alternance), Jennifer Eliz Hutt, Jérôme Masson, Anne Steffens, Jean-Philippe Valour Musiciens live : Jennifer Eliz Hutt, Arthur B. Gillette & Ignacio Plaza Ponce (en alternance)