Zébrures d’Automne, suite et fin : pour sa quarantième édition, le festival limougeaud s’est clôt le week-end dernier avec, notamment, des découvertes venues des pays francophones du Nord.
© Christophe Péan
Si vous ne connaissez rien à la différence entre le français de l’Ontario et celui du Nouveau-Brunswick, on peut toujours compter sur un festival comme les Zébrures d’automne pour entendre, sur scène, ces accents méconnus de la francophonie. Aussi, la battle qui oppose Carlo Weka et Danielle Le Saux-Farmer dans Oh ! Canada, visant à départager le français le plus idiosyncrasique du pays de l’érable. La pièce, coécrite par Le Saux-Farmer avec Noémie F. Savoie et la collaboration des autres comédiens (restent à citer Moriana Kachmarsky et Ziad Ek), ne se présente d’ailleurs comme rien d’autre qu’une exposition méthodique et ludique des problématiques intra-communautaires propres aux francophones du Canada.
Le sujet passionne, notamment au gré du format choisi par la metteuse en scène, un enchaînement de pastilles où le témoignage le dispute à la mise en jeu (télévisé) des particularités culturelles et politiques qui façonnent ces communautés linguistiques. Mais l’exécution pêche par manque d’une maîtrise complète de cette théâtralité particulière, y compris dans l’interprétation. Oh ! Canada fera partie de ces pièces dont on espère qu’elle se roderont avec le temps, en tout cas la petite révolution des visibilités qui y est opérée, elle, trouve toute sa place aux Franco.
Battements de cœur dans l’hôpital
Si un malheureux coup de projecteur a été braqué sur le Sahel à quelques jours du lancement de sa quarantième édition, c’est sur les Francophonies dites du nord que le festival dirigé par Hassane Kassi Kouyaté se concentrait cette année, mettant à l’honneur écritures et mises en scène du Canada, donc, mais aussi de Belgique, de Suisse, du Luxembourg, et… de France. Au Théâtre de l’Union, Cœur poumon représentait cette sélection hexagonale avec un spectacle rodé comme une bonne série dans un décor d’hôpital. Le cadre n’a rien d’inédit mais Daniela Labbé Cabrera, main dans la main avec ses comédiens, y fait s’exprimer une plume inventive et fait montre d’un certain savoir-faire dans l’orchestration du plateau.
C’est une histoire d’attente : deux parents (Julie Lesgages et Bastien Ehouzan) se rongent les sangs dans les couloirs d’un hôpital où leur nouveau-né est pris en charge pour une opération du cœur. Dans cette présence-absence de l’enfant, signifiée dans la scénographie de Sallaghyn Khadir par un berceau médical entouré de vitres comme autant de strates vers un vivant émotionnellement et physiquement intouchable, les individualités se frottent. D’une grand-mère attentionnée mais demandante à un chirurgien (Hugues Dangréaux) qui ne peut s’ouvrir que lorsqu’il opère, en passant par des infirmières (Marie Rahola et Anne-Élodie Sorlin) prises dans le tourbillon du quotidien hospitalier, Cœur Poumon ausculte les vibrations d’un univers tendu à un fil. Si l’hôpital est un milieu froid, la mise en scène se place un peu trop du côté de cette sévérité, même lorsque le texte ouvre sa respiration vers d’autres horizons. Cette pièce rythmée par les battements du cœur devrait accomplir sa paradoxale recherche de vie durant sa série à venir à la Tempête, du 4 au 25 novembre 2023.
Les difficultés des Francophonies sont aujourd’hui bien connues, et l’ajout de ladite interdiction de collaborer avec les artistes du Sahel n’est que la cerise sur le gâteau des restrictions budgétaires et des délogements avec lesquels Hassane Kassi Kouyaté et son équipe ont dû composer jusqu’alors. Il n’empêche que Limoges reste, grâce à cette organisation quarantenaire, un lieu à part de découvertes linguistiques et formelles, où l’on peut déambuler, la journée, avec la compagnie Uz et coutumes autour des textes de neuf auteurs venus des quatre coins du monde, et tomber, le soir, sur un spectacle musical comme Murer la peur, mis en scène par Patrick Mohr, où des femmes d’Afrique et d’Europe brandissent leurs droits, disent l’oppression patriarcale ou capitaliste sans s’encombrer de mille détours dramatiques ou théâtraux… S’ouvrir sur l’inconnu, donc, avec le risque qu’un tel dessein comporte de ne pas toujours nous offrir les coups de cœur dont on a pris l’habitude.
Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Limoges
Zébrures d’Automne
Les Francophonies – Des écritures à la scène
87000 Limoges.
Du 20 au 30 septembre 2023.
Cœur Poumon du 4 au 25 novembre 2023 au Théâtre de la Tempête