The Season’s canon de Crystal Pite Opéra de Paris © Julien Benhamou

Femmes et chorégraphes, quel programme !

L'Opéra de paris rend hommage aux femmes chorégraphes et présente les premières créations de Crystal Pite, de Xie Xin et de Marion Motin.

The Season’s canon de Crystal Pite Opéra de Paris © Julien Benhamou

L’Opéra de Paris veut rendre hommage aux femmes chorégraphes ! Pourquoi ? Pourquoi pas ? Au tableau : trois premières « fois » avec le Ballet : Marion Motin, la chorégraphe du show biz, Xie Xin, jeune chinoise bien repérée en Europe, et Crystal Pite, dont on reprend ici le fameux The Season’s canon crée en 2016 et qui l’a propulsée au firmament des stars. Une soirée onduleuse…

© Julien Benhamou

Il suffit donc maintenant d’être femme pour être programmée à l’Opéra de Paris. Quel progrès ! Car pour les femmes chorégraphes, apprend-on dans le programme de cette soirée, « il y eut beaucoup d’éclipses ». Mince, on avait raté ça. Des éclipses de femmes… Mais enfin cette soirée nous en présente trois en bouquet. Peu importe que Marion MotinXie Xin et Crystal Pite ne se connaissent pas, n’aient d’autres points communs que le fait de « danser ou faire danser », et bien sûr qu’elles soient femmes., Aurélie Dupont, alors la directrice du ballet de l’Opéra de Paris à l’origine de cette programmation, s’était-elle assurée qu’elles étaient bien XX et pas d’un autre genre ? Aurélie Dupont ou les directions suivantes. On ne sait jamais. 

Être femme, une condition programmatique ? 
Horizon de Xie Xin - Opéra de Paris © Julien Benhamou
Horizon de Xie Xin – Opéra de Paris © Julien Benhamou

Enfin où est-on ? Où en est-on ? AU XXIème siècle, avec tout ce qui se passe aujourd’hui, après tout ce qui s’est passé ? On en est là ? À composer un programme en réunissant des femmes ? C’est un critère. Mais lorsque dans un même programme étaient réunis « Balanchine, Robbins, Forsythe », ou « Preljocaj, McGregor », a-t-on vu préciser que ces chorégraphes étaient des hommes ? Et d’ailleurs pourquoi faire ? 

C’est donc une question qu’on peut se poser aujourd’hui, car vraiment à part le fait que ces trois chorégraphes sont des femmes et que la danse est leur langage, pourquoi faire se succéder leur (première) pièce pour le Ballet ? C’est une telle gageure de créer pour l’Opéra de Paris, avec ces purs sangs comme interprètes, si doués, dont chaque mouvement, et on a pu encore le vérifier, amplifie la tension et l’intention, pourquoi tout mettre sur le même plan ? Tant il est évident que la jeune chorégraphe Xie Xin qui reconnait avec beaucoup d’humilité (dans le programme ») que « En Chine nous sommes assez jeunes dans le paysage international de la danse contemporaine… » et qui qualifie son style : « très lisse, doux, liquide et sensible », ne joue pas dans la même cour que Crystal Pite, dont le premier opus pour le ballet de l’Opéra de Paris The season’s canon » est un opus parfaitement construit, fondé sur le principe musical du « canon ». Les corps, groupés tenus serrés forment et déforment une sorte de chaîne ADN qui respire au gré de l’ensemble et tire son souffle de l’autour, de la nature, et de la forme de ces « murmurations », nom donné aux regroupent d’étourneaux. 

Des écritures et des esthétismes différents 
The Season’s canon de Crystal Pite Opéra de Paris © Julien Benhamou
The Season’s canon de Crystal Pite Opéra de Paris © Julien Benhamou

La chorégraphe canadienne, qui a dansé près d’une quinzaine d’années à la Francfurt company de William Forsythe avait construit une pièce tout en nuances et très lisible, où le semblable et le différent figuraient, où l’individu comptait autant que le groupe, où l’élan de l’un influait sur tous. La beauté du geste, la grâce et la virtuosité des interprètes (ceux de 2016 comme ceux d’aujourd’hui), la très particulière version des fameuses Quatre saisons de Vivaldi par Max Richter, tout concourait à placer le spectateur dans un état extraordinaire de vigilance et de surprise. A partir de ce ballet, tous les opéras du monde, tous les théâtres rêvèrent de pouvoir inscrire le nom de Pite dans leur programmation.

La pièce de Xie Xin pas plus que celle de Marion Motin ne peuvent s’inscrire dans cette lignée. Elles ne sont pas désagréables à regarder, bien des spectateurs y ont pris plaisir. Le décor magnifique de Hue Hanjun pour Horizon de renoue avec la peinture ancienne chinoise, des forêts et cascades émergeant du brouillard. Les danseurs et danseurs en émergent aussi, ondoyant, sur-ondoyant des mains, des bras, du torse, des jambes, de partout… ainsi les lignes se dessinent et se cassent et le motif se reprend, se déforme en anamorphose, se redessine etc. Le langage est très lisse, doux liquide et sensible, tel que nous l’a annoncé Xie Xin, mais pour arriver à quel résultat, sinon à l’évocation d’un tableau où l’évanouissement, la disparition peuvent bien sûr évoquer la mort. 

The last call de Marion Matin - Opéra de Paris © Julien Benhamou
The Last Call de Marion Matin – Opéra de Paris © Julien Benhamou

La mort, point de départ de la pièce The last call (pourquoi pas « le dernier appel » ?) de Marion Motin, la « french girl » qui a dansé et chorégraphié pour MadonnaGaultierChristine and the QueensStromae, qui a réglé la « choré » de Résiste de France Gall etc., venue du hip-hop, artiste que le monde du ballet ne connaît pas mais que les danseurs et les immenses scènes adorent, là voici qui porte au plateau à Garnier le dernier appel de son père. Une cabine téléphonique (mais ça date de quand ? Les cabines ont disparu depuis un bail), un danseur qui allume une cigarette après avoir raccroché et le groupe tous en étranges costumes vinyle plastoque plutôt moches, se rassemble derrière lui qui leur passe…le flambeau, pardon, la clope et les voilà mimant l’aspiration et le rejet de la fumée, en ondoyant eux aussi, ondoyant encore, ondoyant au-delà de tout, jusque dans l’au-delà. Ce doit être génial à danser… à voir, ça l’est moins. Où vont les gens quand ils meurent, demande la chorégraphe ? Grande question, à laquelle personne n’a encore répondu, en tout cas pas sur scène à l’Opéra Garnier.

Mais si toutes les femmes chorégraphes se donnaient la main, peut-être…

Brigitte Hernandez

« Marion Motin, Xie Xin, Crystal Pite »
Opéra de Paris
Palais Garnier
Place de l’Opéra
75009 Paris
jusqu’au 12 octobre 2023

durée 2h15 avec entracte

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