Au Théâtre Public de Montreuil, après un passage estival dans le très bel écrin du cloître des Carmes à Avignon, la comédienne, originaire de Lettonie, donne corps avec fougue et fièvre à l’œuvre de Virginia Woolf. Aux côtés des autres membres de la fidèle troupe de Pauline Bayle, Viktoria Kozlova illumine la scène et offre une dimension sensible et tellurique à l’écriture vaporeuse de l’autrice britannique.
© Mathieu Mullier-Griffiths
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Enfant, à Riga (Lettonie), où j’ai grandi, au Cirque de la ville. Plus que de l’émerveillement face aux numéros, je me souviens surtout de la magie de l’attente et de mon apnée au moment où ça commence. De ma concentration extrême, comme si un fil me reliait aux clowns, aux acrobates et que la réussite même de leurs numéros en dépendait !
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
J’ai toujours eu du mal à me projeter dans l’avenir. Du coup, je ne crois pas qu’un jour, je me suis dit que j’allais embrasser une carrière tout court. Il y a eu ce club de théâtre amateur à l’école à Riga, qui m’a apporté beaucoup de lumière et planté une graine, un souhait secret. Mais là où j’ai grandi, c’était inenvisageable.
Puis il y a eu ce jour, c’était ma troisième année en France. Je vivais à Lyon, j’étais à la fac, je travaillais dans un bar, je parlais de mieux en mieux français – mon « intégration » dans ce pays bien entamée – mais je trouvais assez peu de sens à ma vie. Une des rares amies de cette époque m’a invité à réfléchir sur ce que j’avais vraiment envie de faire. Et je crois, c’était la première fois où je me suis vraiment posé la question.
Quelques mois après, j’étais inscrite dans une école de théâtre à Paris : un grand pas vers l’éclaircie.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne ?
Pendant ma formation théâtrale, c’était une intuition qui prenait enfin forme.
Mais qu’est-ce qui a fait que j’ai choisi de continuer surtout ?! Ahah ! Je dis ça, parce que j’ai dû bien m’accrocher pendant des années sans savoir qu’un jour, ce serait plus doux. J’ai cumulé des boulots en restauration à temps plein en parallèle de mes études, puis de mes projets. Des chemins autres et moins laborieux s’offraient à moi.
J’ai continué parce que j’ai eu la chance de rencontrer des personnes très inspirantes.
Je suis comédienne aujourd’hui parce que je crois au grand pouvoir de la fiction. Je veux raconter des histoires et pour l’instant, je m’y retrouve mieux avec les mots des autres. Puis il y a cette sensation incroyable et dense d’être en vie, d’être au monde, autant au moment de la rencontre avec le public, que pendant le travail des répétitions.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
À l’école, vers mes 13 ans, ma professeure d’anglais a monté un club de théâtre, en se disant que ce serait joyeux, aussi, d’apprendre l’anglais en jouant. Miss Julia ! Quelle chance… Je me souviens de Pygmalion de George Bernard Shaw. J’avais le rôle d’Eliza Doolittle. J’ai dû apprendre à parler avec l’accent cockney pour le rôle ! J’étais à fond ! C’est là que se situe ma première sensation magnétique du présent de la représentation.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Ah la la, Je devrais noter… Sinon les derniers souvenirs forts sont le travail de Nathalie Béasse et de sa troupe, les spectacles de Phia Ménard, de Milo Rau, de Peeping Tom.
Il y a Play de Alexander Ekman qui me vient à l’esprit, L’Étang de Gisèle Vienne, tout dernièrement Un Sacre de Lorraine de Sagazan. De plus loin, La barque le soir de Claude Régy m’apparaît. Il y en a d’autres. Ça m’arrive d’être sensible à des récits et à des performances très différentes, parfois aux antipodes.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Une des choses incroyables de ce métier, c’est que le parcours est plein de belles rencontres. Parfois, ce sont des gens qui emboîtent le pas pour un bon bout de chemin ensemble, pour des aventures communes qui durent, parfois, ce sont des rencontres brèves, mais qui marquent à vie, rencontres qui nous déplacent. J’ai la grande chance de tout ça.
Parmi les rencontres les plus importantes, il y a cette professeure d’anglais, Miss Julia, qui a semé la graine.
Il y a Julien Kosellek, acteur et metteur en scène avec qui j’ai la chance immense de travailler depuis une bonne dizaine d’années. J’ai joué dans ses spectacles, ça nous est déjà arrivé de partager le plateau ou collaborer à la mise en scène. On en est au huitième spectacle ensemble ! Lichen de Magali Mougel, que l’on va créer avec la compagnie Estrarre en janvier prochain au Théâtre Antoine Vitez à Ivry.
Dans les plus belles rencontres, il y a Pauline Bayle avec qui on s’est si heureusement découvertes il y a 7 ans maintenant. C’est une collaboration qui m’apporte beaucoup de lumière et de force. Et bien sûr, je continue d’apprendre. Toujours. J’ai aussi la joie de faire partie de sa dernière création Écrire sa vie, inspirée de l’œuvre de Virginia Woolf, qui ouvre la saison au Théâtre Public de Montreuil.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
Je sens que mon évolution personnelle est étroitement liée à mes projets artistiques. Je ne sais pas à quel point on peut parler d’équilibre. Mais c’est sûr qu’aujourd’hui ce métier occupe une des places essentielles dans ma vie. Il me fait questionner mes limites et mes pouvoirs. Il m’offre une chance inouïe de l’expérience humaine sans cesse au cœur de nos lumières et de nos monstres, que ce soit par les sujets que l’on traite, dans la rencontre avec le public où juste parce que nous sommes nos propres instruments de travail.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les gens !
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
La scène pour moi est un peu comme le cœur d’un temple païen ! Ça a l’air sérieux comme ça, mais pas du tout. Je sens ça comme un lieu de concentration d’énergie, de vibration de pensées fortes, lieu riche d’empreintes des présences passées. ET, c’est le lieu du travail ! Ça fait partie de la magie du théâtre pour moi.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Quelque part au niveau de plexus ?!. Sinon, peut-être, selon les histoires à raconter le corps résonne différemment à chaque fois.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Nathalie Béasse ! Krzysztof Warlikowski ! Leos Carax ! Yorgos Lanthimos ! La liste serait bien longue et éclectique… Disons que j’ai la foi dans le sens des rencontres. Impossible pour moi à anticiper.
Et si j’osais porter un projet personnel, je crois que ça me plairait beaucoup de toucher à d’autres disciplines, expérimenter avec les artistes qui racontent autrement, des plasticiens, des danseurs, des vidéastes, des marionnettistes..
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
J’aimerais me retrouver au cœur d’un lieu de vie qui se développerait en accord avec le vivant qui l’entoure, qui serait le lieu de la création et des rencontres. Ce serait fou que ce soit un lieu auto-suffisant et viable par ses activités et que l’on puisse y prendre le temps ! Et créer en toute liberté !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Une performance dansée à tous les coups !
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Écrire sa vie d’après Virginia Woolf
création le 8 juillet 2023 au Cloître des Carmes – Festival d’Avignon
Théâtre Public de Montreuil
Salle Jean-Pierre Vernant,
10 place Jean-Jaurès
93100 Montreuil.
Du 26 septembre au 21 octobre 2023.
Du mardi au vendredi à 20h, le samedi à 18h.
Durée 2h
Tournée 2023-2024
20 et 21 novembre 2023 Le Parvis Scène nationale Tarbes-Pyrénées.
8 et 9 décembre 2023 Châteauvallon-Liberté Scène nationale de Toulon.
14 et 15 décembre 2023 TCC Théâtre Châtillon Clamart.
13, 14, 15 et 16 février 2024 Théâtre Dijon Bourgogne Centre dramatique national.
5, 6, 7 et 8 mars 2024 Théâtre de la Croix-Rousse-Lyon.
Texte d’après l’oeuvre de Virginia Woolf.
Adaptation et mise en scène Pauline Bayle.
Avec Hélène Chevallier, Guillaume Compiano, Viktoria Kozlova, Loïc Renard, Jenna Thiam, Charlotte Van Bervesselès
Scénographie de Pauline Bayle, Fanny Laplane.
Lumière de Claire Gondrexon.
Costumes de Pétronille Salomé.
Musique de Julien Lemonnier.
Son d’Olivier Renet.
Assistanat à la mise en scène Isabelle Antoine
Accessoires d’Éric Blanchard
Regard extérieur chorégraphie Madeleine Fournier
Construction des décors Éclectik Scéno
Régie générale et lumière Renaud Lagier, Antoine Seigneur-Guerrini
Régie son Tom Vanacker
Régie plateau Lucas Frankias
Assistanat aux costumes Nathalie Saulnier