À Lyon, la Biennale de la danse bat son plein. Entre deux spectacles, un défilé et des soirées Dj Set, Tiago Guedes, nouveau directeur de l’événement, ainsi que de la Maison de la danse, évoque sa programmation et son projet pour que rayonne l’art chorégraphique sur le territoire.
© Didier Michalet
Qu’est-ce qui vous a donné envie de quitter le Portugal pour postuler à Lyon ?
Tiago Guedes : En 2014, j’ai été nommé au théâtre de la ville de Porto. La mission que l’on m’avait confiée était claire, précise, rassembler les deux théâtres municipaux en une seule entité, imaginer un projet commun, fonder un festival de danse à l’échelle de la métropole et ouvrir un centre de résidence artistique plutôt à disposition des chorégraphes, mais pas que. Après sept ans, les projets sont devenus réalité. Le Festival Dias da Dança (DDD) est devenu une institution, le centre venait d’ouvrir ses portes. J’allais donc m’installer dans un certain confort, une routine. Ce n’est pas trop ma nature. Je sentais que j’avais besoin de me mettre en danger, de relever des défis. J’avais de l’énergie à revendre. L’idée n’était donc pas de changer pour changer, mais bien avoir de nouveaux projets à conduire. J’ai commencé à prospecter. C’est là que j’ai entendu parler du départ de Dominique Hervieu et de l’ouverture des candidatures pour la remplacer à la tête de la Maison de le Danse et de la Biennale de la Danse de Lyon, mais aussi pour mener à bien les ateliers de la danse, un nouveau lieu dédié aux pratiques artistiques et à l’expérimentation pour les étudiants lyonnais. Avec mon passé de danseur et de chorégraphe, ayant été programmé de plus, il y a quelques années cela, en 2008, je trouvais qu’il y avait une logique, une sorte de fil conducteur. J’ai donc tenté ma chance.
Lorsque vous avez candidaté, quel était votre projet pour ces deux institutions emblématiques de la Capitale des Gaules ?
Tiago Guedes : Mon idée était de repenser au temps présent un gros festival comme la Biennale. Quel est le rôle d’un événement tel que celui-ci aujourd’hui ? Qui attire-t-il ? Et comment renouveler les publics ? Les mêmes questions se posaient pour la maison de la Danse. Comment l’ancrer un peu plus dans le territoire, l’ouvrir sur le monde, réorganiser programmation et saison pour être en phase avec les tendances actuelles tout en restant un lieu de référence. Par ailleurs, il était clair pour les partenaires publics qu’il fallait non pas deux projets distincts, mais bien un projet commun qui permettait de faire la connexion entre la maison, la Biennale et l’atelier. Dans ma tête, il a été clair qu’il fallait un axe horizontal et fort autour de neuf artistes associés. Pendant trois ans, ces derniers présenteraient non seulement des créations à la Biennale, mais tout au long de l’année, on pourrait voir d’autres pièces de leur répertoire. L’objectif étant de permettre au public d’avoir une vision de leur œuvre, de leur parcours. Par exemple, François Chaignaud reprend à la Biennale, Da Vinci Park, pièce créée en 2016 avec Théo Mercier et viendra aussi avec sa nouvelle pièce, Mirlitons, un duo entre danse et Beatbox, qu’il créé en octobre à la MC93 à Bobigny avec la complicité Aymeric Hainaux. Sur le même principe, Lia Rodriguez clôt la Biennale avec Encantado et reviendra au cours de la saison avec sa pièce Furia. Marco da Silva Ferreira a présenté dans quelques jours Fantasie minor et en octobre, Carcass. En parallèle de ce travail de diffusion, il me semblait important de les impliquer au projet, de leur permettre de tisser des liens avec les habitants, les spectateurs. Un autre axe important était de mettre l’accent sur la jeunesse, comment l’impliquer, comment lui donner envie de pousser les portes d’une institution qui peut paraître austère au premier abord. Avec mon équipe, nous avons mis en place un comité artistique de la jeunesse. Ils sont 18, ont entre 14-15 ans, et vont passer deux ans à nos côtés. On leur propose un parcours spectateur, de participer à des ateliers de danse, mais aussi sur les métiers du spectacle vivant. Le but est de leur montrer l’envers du décor, de voir comment fonctionne une institution culture et de co-programmer avec eux, une pièce pour la prochaine Biennale. L’autre point important, c’est la création des ateliers de la danse. Ces projets lancés par ma prédécesseuse qui va permettre à la maison de la danse d’avoir sa propre maison de production. Le lieu qui devrait sortir de terre en 2025 comportera trois espaces de créations, deux studios et une salle de création-diffusion pouvant accueillir 450 personnes. On pourra y voir toutes les étapes d’une création.
Où seront-ils situés ?
Tiago Guedes : À deux pas de la maison de la danse. Cela va permettre de faire du 8e arrondissement de Lyon, un quartier tourné vers la danse, où il y aura en permanence une effervescence créatrice.
Cela fait un an que vous êtes entré en fonction. Concrètement, comment cela se passe-t-il ?
Tiago Guedes : il faut s’adapter, prendre le pouls des équipes, apprendre à les connaître, avancer ensemble, voir comment on peut mettre en place le projet, voir ce qui est possible et ce qui ne l’est pas. Je suis arrivé en septembre 2022, Dominique Hervieu avait laissé quelques lignes de programmation, mais il y avait encore de gros chantiers, une Biennale à finir de construire. On a eu très peu de temps pour mettre en place une édition de transition qui tienne la route, qui soit cohérente. En général, ce type d’événement se prépare deux ans à l’avance. Aujourd’hui, on travaille déjà sur celle de 2025. En parallèle, il fallait aussi ma première saison à la Maison de la danse. Nous avons dû être rapides, efficaces, réorganiser la manière de travailler pour se préparer aux nouveaux défis, à la mise en place de la nouvelle ligne artistique. Par ailleurs, il y a tout le maillage culturel à explorer, aller à la rencontre des autres institutions lyonnaises, pas moins d’une quarantaine, rencontrer les partenaires publics et privés. On a relevé un sacré challenge pour mettre enplace une XXe édition avec pas moins de 48 propositions artistiques.
Vous parlez de Biennale de transition. Quel est votre apport ?
Tiago Guedes : dans un premier temps, j’ai étudié le programme ébauché par Dominique Hervieu, j’ai regardé ce que je pouvais apporter. Il me semblait qu’il fallait plus de diversité esthétique, plus de parité, plus de formes différentes. J’ai donc décidé de ne programmer que des femmes, telle Lia Rodrigues, Marlène Monteiro-Freitas ou Catherine Gaudet, une chorégraphe québécoise. C’est d’autant plus important qu’avec l’Onda, l’Institut français, le CCN de Rillieux-la-Pape nous organisons une plateforme de rencontre où sont invités des professionnels du monde entier. Il était important que les femmes y soient pleinement représentées. Par ailleurs, il me semblait qu’il manquait des formes tout terrain, que l’on peut voir ailleurs que dans un lieu dédié, dans la rue par exemple. J’ai donc convié Alessandro Sciarroni, avec Save the last dance for me, et Marco da Silva Fereira, avec Fantasie minor, deux duos qui ont été joués à différents endroits de la ville, dont des marchés. À mon sens, il était aussi important de repenser le projet Immersion Fagor dans son ensemble, lui donner une dimension plus grande, plus large. Nous y avons donc installé le QG, pour que ce soit le lieu de rencontre du festival, le lieu de convivialité. Il est possible d’y boire, d’y manger et d’y danser, c’est dans le hall de l’usine que les week-end des dj s’installent et font vibrer le club Bingo. C’est aussi à cet endroit que se déroule, deux samedis d’immersion à des cultures sociales et artistiques, que sont le Voguing en partenariat avec Vinii Revlon et le Hip-hop en collaboration avec le Collectif. Par ailleurs, c’est aussi un lieu de spectacle. Chaque espace va être investi par une création, celle de Boris Charmatz, de François Chaignaud, de Nach, mais aussi de Qudus Onikeku. En parallèle de tout cela, j’avais aussi l’envie de renforcer les liens avec le CND, en créant une école temporaire, le temps du festival. Les délais étaient trop courts pour mettre cela en place à cette édition, ce sera en 2025. Toutefois, j’ai tenu à ce que des masters class et des worshops avec des chorégraphes invités soient organisés et ainsi permettre aux Lyonnais de découvrir différentes pratiques artistiques et corporelles.
Cela fait un peu plus d’une semaine que la Biennale a débuté. En tant que nouveau directeur artistique que ressentez-vous ?
Tiago Guedes : je suis assez serein et je le vis avec beaucoup d’enthousiasme. J’observe ce qui se passe, comment le public réagit. C’est une Biennale de transition, cela me permet donc de voir comment on peut encore améliorer la programmation et les activités autour. C’est assez passionnant d’autant que les spectateurs sont au rendez-vous. Le pari d’un événement populaire et participatif est plutôt réussi. Le dimanche d’ouverture, plus de 3 500 personnes ont défilé dans les rues de Lyon devant 150 000 spectateurs.
Qu’en est-il de la Maison de la Danse ?
Tiago Guedes : c’est ma toute première saison. Si les grandes lignes de nos missions ne changent pas, il était important pour moi d’ouvrir encore plus à la diversité et de montrer ce qu’est la danse contemporaine aujourd’hui. Nous avons une énorme contrainte, l’édifice ne possède qu’une salle de 1000 places. Il faut donc composer avec. J’ai fait le choix d’ouvrir le studio au public. Il est possible d’y accueillir 90 personnes et donc de présenter des formes plus intimistes. Nous y présenterons ce que nous avons appelé « Première partie ». Comme pour les concerts, en amont des spectacles dans la grande salle, les spectateurs qui le souhaitent pourront découvrir des jeunes artistes, de nouvelles créations. J’ai aussi décidé d’initier un programme, qui se nomme « histoires de la danse », qui permettra au public à travers la présentation de pièces de répertoire, des pièces hommages, des ateliers et des conférences de mieux comprendre comment la danse contemporaine s’est construite. Cette année, nous présenterons des pièces de Trisha Brown ainsi que la nouvelle création de Noé Soulier autour de cette chorégraphe américaine. Puis nous allons reprendre So Schnell de Dominique Bagouet, remontée en 2020 par Catherine Legrand, l’une de ses danseuses. Une autre chose qui me tenait à cœur, était de donner des cartes blanches à nos artistes associés afin qu’au-delà de leur propre travail, il soit possible d’avoir un aperçu de leur univers et du monde artistique qui les entoure. Intitulé Cosmologie, ce rendez-vous sera, cette année, inauguré par François Chaignaud dont nous présentons t u m u l u s et Jan Martens dont nous accueillons la prochaine création. Nous allons aussi initier des soirées cabaret, trois dans l’année. C’est un domaine qui est actuellement en pleine effervescence et qui a toujours été un endroit très stimulant pour les artistes, qui a notamment vu naître Joséphine Baker ou Loïs Fuller. Enfin afin de rendre plus accueillant ce bâtiment fait de verre et de béton et inviter les Lyonnais, et tout particulièrement les jeunes artistes du street art, à se l’approprier, j’ai fait installer un plancher de danse dans le hall, qui est à disposition pour des entraînements, des répétitions.
Par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – envoyé spécial à Lyon
Biennale de la Danse de Lyon
jusqu’au 30 septembre 2023