L’ordre est moins clair qu’il n’y paraissait. En-tout-cas, depuis hier soir, la missive envoyée par les DRAC sur instruction du Quai d’Orsay, ce mercredi 13 septembre, enjoignant les établissements culturels publics à « suspendre toute coopération » avec le Niger, le Mali et le Burkina Faso, a été démentie coup sur coup par le ministère de la Culture et le président de la République. Quitte à semer encore plus de confusion dans l’esprit d’un secteur pris de court par cette décision.
« Lorsqu’on dit qu’il n’y aura pas de visa ou qu’on annule tous les événements qui seraient faits en France avec tous les artistes venant du Burkina Faso, du Mali ou du Niger : c’est faux, ça ne se passera pas », assénait le président de la République lors d’un déplacement vendredi après-midi, quelques heures avant d’annoncer la prise d’otage de l’ambassadeur de France au Niger.
Confusion ? Mouvement de panique ? « Que cela ne nous empêche pas de continuer à nous interroger sur ce qu’il adviendra des artistes Maliens, Burkinabés et Nigériens dans les programmations culturelles françaises dans les mois à venir », insiste Catherine Blondeau, directrice du Grand T de Nantes, par message ce vendredi soir. Celle qui dirigea l’Institut français d’Afrique du Sud entretient dans sa structure des liens forts avec plusieurs pays du continent, et en 2021, elle accueillait une déclinaison nantaise des Récréâtrales, le grand festival de théâtre d’Ouagadougou. Aujourd’hui, face à « des démentis plus ou moins clairs », elle s’interroge : « Interdiction ou non ? Visas bloqués ou pas ? Décisions au cas par cas ? »
« Il est impossible de travailler dans ces conditions », s’agace, de con côté, Hassane Kassi Kouyaté, directeur depuis 2019 des Francophonies à Limoges. À quelques jours du coup d’envoi des Zébrures d’automne, rendez-vous incontournable pour les artistes francophones, notamment d’Afrique, le comédien et metteur en scène d’origine burkinabée prend acte des démentis, mais insiste : « On ne peut pas faire comme si certaines choses n’avaient pas été dites. Ça nous donne une chose de voir en face le problème des visas des artistes africains. Cette question n’a pas attendu hier pour exister. J’y fais déjà face tous les jours. »
Le festival, qui commence le 20 septembre, attend encore de savoir s’il sera possible d’accueillir correctement l’ensemble des spectacles attendus. Si la rue de Valois a voulu rassurer, jeudi, en soulignant que la décision n’affecterait pas les personnes titulaires de visas délivrés avant le 13 septembre, Hassane Kassi Kouyaté rappelle que « certains artistes qui prennent un avion à 19h n’obtiennent leur visa qu’à 14h le même jour ». « Il ne faut pas que l’arbre cache la forêt, poursuit-il. Le fond du problème, c’est qu’à cause de cette dépendance, nous n’avons pas vraiment de liberté de programmation, nous qui travaillons avec les pays africains ».
Derrière le sentiment d’un grand imbroglio, c’est la relation de la France à l’Afrique et à ses anciennes colonies qui est remise en jeu. « En temps de crise diplomatique, les opérations que nous menons, plutôt petites à l’échelle géopolitique, permettent de maintenir le lien avec la société civile. C’est cette dernière qui est punie par cette décision », remarque la directrice du théâtre nantais depuis la Suède, où elle participe, justement, au montage d’un projet européen de coopération Nord-Sud. Elle s’interroge : « Le Quai d’Orsay entend-il user de son pouvoir de délivrance des visas pour faire payer aux artistes les crises diplomatiques entre la France et ses anciennes colonies ? La coopération culturelle, va-t-elle se régler sur la diplomatie et devenir un outil de “récompense” ou de “punition” en fonction du comportement des états concernés ? Les artistes du continent sont-ils présumés délinquants ? » Autant de soupçons qui attendent encore d’être démentis.
« La France doit changer son logiciel vis-à-vis de l’Afrique, qui n’est plus son pré carré, analyse Kouyaté. La majorité des artistes sont dans l’incompréhension. Mais d’autres disent : tant pis, on ira jouer ailleurs. Pendant ce temps, dans leurs pays, les instituts Goethe et Cervantès se développent, la présence norvégienne aussi, et les Coréens viennent d’inaugurer un centre culturel magnifique à Abidjan. Même chose pour les étudiants : à force d’augmenter les frais d’inscription pour les étrangers, ceux-ci vont ailleurs, et ce sont eux qui font le monde de demain », continue-t-il avant que Le Monde relaie, ce vendredi, l’information de la suspension des bourses de mobilité étudiante dans les trois pays du Sahel. Et son homologue nantaise de conclure : « La France risque de piétiner elle-même les espoirs qu’elle a fait naître et d’abîmer les liens que des années de coopération ont patiemment construits avec une société civile qui n’est pas unaniment anti-française, comme elle le prétend, mais qui attend seulement, depuis trop longtemps, d’être prise au sérieux ».