Un vent frais, cynique, souffle sur le Studio Hébertot. Il vient de loin, d’un autre temps. Il murmure l’histoire du naïf Jean la chance, un fermier simplet qui, confronté à la noirceur de l’âme humaine, se laisse démunir de tous ses biens. Porté par la mise en scène dépouillée de Constant Vandercam et le jeu lumineux de jeunes comédiens, le conte de Brecht revit pour notre plus grand plaisir.
Rêveur, légèrement benêt, Jean la chance (rayonnant François Raüch de Roberty) se laisse porter par la vie. Curieux des autres, de la nature, heureux en ménage, il ne voit le mal nul part. Époux comblé d’une accorte jeune femme (éblouissante Lou Guyot), il croît profondément en la nature humaine. Pourtant, le sort va s’acharner sur ce garçon un peu trop naïf, un peu trop pur. Très vite, cupides et autres arnaqueurs vont déceler ses faiblesses et s’en servir pour accroître leurs biens, leurs plaisirs à son détriment.
C’est tout d’abord sa femme qu’il va échanger, puis sa ferme, sa charrette. Au fil de l’histoire, il perd tous ses biens, pour qu’il ne lui reste que la vie. Jamais sans se plaindre, toujours avec le sourire, il se laisse déposséder de tout, il ne bronche pas. Confiant, il s’abandonne bien heureux au destin. S’enfonçant chaque jour un peu plus dans l’errance et dans le vagabondage, il continue à penser que les gens qui l’entourent sont bienveillants, que le mal n’existe pas. Il se contente du minimum sans jamais s’élever contre l’injustice, les préjudices et les outrages qu’il subit.
Toujours prompt à dénoncer la noirceur de nos sociétés et des comportements humains, Bertolt Brecht, dans ce conte de jeunesse inachevé, édité à titre posthume, détourne une fable des frères Grimm pour mieux démontrer la cupidité du monde, sa sombre espérance. Loin des images d’Epinal et des bons sentiments, il esquisse un héros certes simplet mais amoureux fou de sa liberté, d’une vie sans entrave. ien qu’il ne soit pas conscient de cette envie profonde, il se décharge petit à petit de toute contrainte. Afin de souligner toute la simplicité du texte de Brecht, Constant Vandercam privilégie une mise en scène sobre, ingénieuse empruntant aux théâtres des tréteaux ses astuces et ses techniques. Ainsi, l’histoire de Jean la chance, écrite en 1919, garde son ambiance un brin surannée, matinée de fraîcheur champêtre, fort agréable en ses périodes de grandes chaleurs.
Si l’on se laisse totalement embarquer dans cette fable à la fois légère et sombre, c’est en grande partie grâce au talent de la jeune troupe qui a relevé le défi de remonter cette pièce peu jouée du théâtre de Bertolt Brecht. Brune pétillante, Lou Guyot se glisse à merveille dans le rôle de l’ingénue qui se brûlera les ailes, ainsi que dans celle de la vieille fille acariâtre. Benjamin Assayag et Théo Navarro-Mussy interprètent tour à tour avec audace, veulerie et amusement les différents personnages qui croiseront la route de notre héros et abuseront de sa crédulité. Enfin, l’éclatant François Raüch de Roberty campe avec une belle naïveté et une jolie finesse le fascinant Jean la chance.
Séduit par cette proposition rafraîchissante, le public se laisse saisir par la poésie crue, âpre, féroce de Brecht qui interroge nos propres consciences et nos propres comportements face aux autres. N’hésitez pas à vous laisser charmer par cette gourmandise douce-amère qui s’en nul doute devrait vous plaire.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Jean la chance de Bertolt Brecht
Studio Hebertot
78 bis, Boulevard des Batignolles
75017 Paris
deux dates exceptionnelles le 27 et le 28 juin 2017 à 21h
reprise
Théâtre de Ménilmontant
15 rue du retrait
75020 Paris
le 21 Novembre, le 5 & 9 décembre à 21h00
durée 1h30
Texte de Bertolt Brecht
Traduction de Bernard Banoun et Mireille Silhouette
Mise en scène : Constant Vandercam assisté de Tiphaine Canal
avec Benjamin Assayag, Lou Guyot, Théo Navarro-Mussy et François Raüch de Roberty
Lumières de Filipe Gomes Almeida
Crédit photos © Gabrielle Malewski