La mécanique est impeccablement huilée, les répliques parfaitement ciselées. Tout ronronne sans accroc dans ce vaudeville suranné, un brin misogyne. Soulignant l’étonnante rythmique imposée par Feydeau et les clichés inhérents à sa vision pessimiste de la société, Isabelle Nanty dirige avec ingéniosité la troupe virtuose du Français. Une gourmandise honnête acidulée d’un zeste de folie.
Les portes d’un immense salon art déco cossu claquent sans cesse. Dans ce vacarme continuel, le maître des lieux, l’honorable Monsieur Pinglet (épatant Michel Vuillermoz), tente en vain de lire les plans de rénovation de sa maison. Interrompu par les allées et venues intempestives de sa plaisante et piquante bonne (délicieuse Pauline Clément), puis par la voix suraiguë de son dragon de femme (éblouissante Anne Kessler), il s’égare un temps dans ses pensées et rêve aux doux appâts de son éblouissante voisine, la belle Marcelle (lumineuse Florence Viala), épouse de son meilleur ami, le balourd monsieur Paillardin (étonnant Jérôme Pouly).
Une parole malheureuse, une incompréhension est la machine maritale s’enraye. Ne supportant plus son bourru de mari qui l’ignore, la naïve Marcelle est prête à toutes les folies pour venger l’offense faite à sa charmante personne et accepte un rendez-vous galant avec son libidineux et frustré voisin. Bien évidemment, rien ne se passera comme prévu. Quiproquos, malentendus et autres rebondissements en tout genre feront capoter l’adultère. Dans une pirouette rocambolesque, tout finira par rentrer dans l’ordre des choses et chaque couple retombera dans son ennuyeuse routine.
Croquant à merveille les affres du couple bourgeois de cette fin de XIXe siècle, Georges Feydeau tisse un canevas vaudevillesque à la mécanique parfaitement maitrisée. S’inspirant de ses propres avanies maritales, il brosse un portrait peu flatteur du mariage, où l’homme est un benêt porté sur la chose, la femme un tyran hystérique, frigide. Savant arrangeur de mots, il distille les phrases chocs, les répliques qui font mouche. De cette matière drolatique, aux forts relents sexistes, Isabelle Nanty s’empare, sans pour autant en amoindrir la misogynie latente, mais en y ajoutant toutefois un grain de folie très belle époque. Les assertions chantées façon cabaret de Laurent Laffitte en sont le plus bel exemple.
S’appuyant sur les magnifiques décors et les somptueux costumes imaginés par Christian Lacroix, la truculente comédienne brode avec précision un divertissement Chatoyant et dirige au cordeau la troupe extraordinaire de la maison de Molière.
Usant et abusant de la pantomime pour notre plus grand plaisir, Christian Hecq et le tout nouveau pensionnaire, Julien Frison, enchantent. Forçant le trait de l’épouse castratrice, de la femme vertueuse à l’excès, Anne Kessler fascine. Jouant les évaporées, Florence Viala charme et ensorcelle. En homme mal dégrossi, un brin rustre, Jérôme Pouly est remarquable. En bonne frivole, peu farouche et gourmande, Pauline Clément illumine une nouvelle fois la scène du Français. Enfin, en mari châtré et peu doué pour la séduction, Michel Vuillermoz est magnifique.
Si on met de côté, l’ambiance désuète et le sexisme inhérent à l’univers de Feydeau, on se laisse totalement séduire par cette version honnête et plutôt réussie de ce vaudeville emblématique. Comme de bien entendu, les salves de rires ponctuent chaque réplique, chaque saillie drolatique. Une bien sympathique soirée en somme !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Hôtel du Libre échange de Georges Feydeau
Comédie-Française – Salle Richelieu
1 , place Colette
75001 Paris
Jusqu’au 25 juillet 2017
Durée 2h30 sans Entracte
Mise en scène d’Isabelle Nanty assisté de Stéphanie Leclercq
Avec Anne Kessler, Bruno Raffaelli, Alain Lenglet, Florence Viala, Jérôme Pouly, Michel Vuillermoz, Bakary Sangaré, Laurent Lafitte, Rebecca Marder, Pauline Clément, Julien Frison, Christian Hecq en alternance avec Thierry Hancisse et les comédiens de l’Académie :
Marina Cappe, Tristan Cottin, Ji Su Jeong , Amaranta Kun , Pierre Ostoya Magnin et Axel Mandron
Scénographie et costumes de Christian Lacroix assisté de Philippine Ordinaire
Lumières de Laurent Béal
Arrangements musicaux de Vincent Leterme
Travail chorégraphique de Xavier Legrand
Crédit photos © Brigitte Enguerand