Comment se construire quand enfant la guerre, l’horreur, nous a tout pris ? En plongeant dans l’histoire commune de quatre jeunes d’origines et de religions différentes, Michèle Laurence tente d’y répondre et signe une pièce bouleversante sur le vivre ensemble, la tolérance. Un souffle d’humanité contre les préjugés que la mise en scène épurée de Laurent Natrella transcende. Touchant !
Il se fait tard. La nuit s’installe. Dans un couloir clinique, blanc, quatre jeunes gens arrivent l’un après l’autre. Ils se regardent, se jaugent puis questionnent. Comment va-t-elle ? Elle, c’est leur mère adoptive. Une vieille dame, maintenant, qui se meurt dans la chambre d’à côté, derrière ce mur impersonnel, aseptisé. La fin n’est plus très loin, l’occasion pour ces quatre frères et sœur d’adoption de se parler et peut-être de se retrouver.
Très vite, l’atmosphère est électrique. Rancœurs, colères, blessures secrètes, vont refaire surface. Chacun, l’un après l’autre, va puiser dans ses souvenirs, sa perception du monde, pour enfin se libérer d’années de silence trop pesant. Abandonnant leur carapace, leur armure, laissant leurs failles, leurs fêlures sans protection, ils acceptent de faire tomber leur dernier rempart pour faire un pas vers ce frère, cette sœur si différente. Loin du monde de violence qui les a vus naitre, qui les a arrachés à leur famille, ils entament durant cette si longue nuit d’attente, le très long chemin vers la résilience et l’acception se soi et de l’autre.
Qu’ils soient nés en Irak, en Israël, au Rwanda ou à Aubervilliers, qu’ils soient juifs, musulmans, catholiques, ou athées, tous souffrent de l’abandon, de la perte, tous ont déjà vécu l’enfer. Forcés à vivre ensemble sous le toit d’un couple bienveillant sans histoire, prêt à leur offrir amour et sécurité, Sarah, Samir, « Tékitoi » et Pierrot vont devoir s’apprivoiser. Et c’est leur histoire autant commune que singulière que Michèle Laurence a eu envie de raconter. Sans pathos, avec tendresse, douceur, la dramaturge s’immisce dans leur vie et brosse un portrait bouleversant d’une humanité à la dérive où les enfants sont les premières victimes de querelles et de guerres auxquelles ils n’entendent rien. Elle puise dans leur naïveté, leur vulnérabilité pour faire ressortir les qualités de cœur que la haine et le traumatisme subi ont trop longtemps enfoui au plus profond d’eux-mêmes.
Afin de garder la force brute de ce texte sincère, la mise en scène très sobre de Laurent Natrella vient en souligner toute la puissance émotionnelle. Par touche, il dessine un monde où l’innocence de l’enfance se mêle à la dureté, à la lucidité d’adultes rageurs face à leur impossibilité d’agir. Semant en nous la graine de la réflexion, il dirige avec virtuosité quatre comédiens touchants, époustouflants. Elodie Menant campe à merveille un détonnant mixte entre la petite fille modèle et le garçon manqué. Maxime Bailleul le caïd forcené au cœur d’or. Olivier Dote Doevi, l’introverti à l’âme pure. Enfin, Slimane Kacioui, l’érudit bagarreur, le religieux, plus tolérant qu’il n’y paraît.
Véritable lueur d’espoir, Après une si longue nuit de Michèle Laurence touche la corde sensible. Après l’effroi, la violence, des premiers instants, la pièce prend aux tripes et interroge nos consciences sur le monde d’aujourd’hui, sur celui demain. Laissez-vous emporter par vos émotions, happer par ces destins malheureusement trop banaux et finalement hors du commun.
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Après une si longue nuit de Michèle Laurence
en tournée et au Festival d’Avignon OFF 2017
Théâtre du Roi René
Du 7 au 30 juillet à 20h30
Mise en scène Laurent Natrella, sociétaire de la Comédie-Française, assisté de Laure Berend-Sagols
Scénographie et costumes de Delphine Brouard
Lumières de Elsa Revol
Son de Dominique Bataille
Avec Maxime Bailleul, Olivier Dote Doevi, Slimane Kacioui et Elodie Menant
ZD productions
Cie Carinae Hyperactif
Crédit photos © Delphine Mayeur