Étrange position que celle dans laquelle se place Hillel Kogan : qu’est-ce qu’un Israélien peut bien chercher en voulant danser le flamenco ? Début de réponse dans les pieds, les mains, les jambes, le dos, dans l’exécution, très belle, des gestes du genre, donné à deux par Kogan et Mijal Natan, danseuse flamenca israélienne, qui l’épaule dans un échange complice et jubilatoire. Puis le corps s’arrête et la parole prend le relais, en mode stand-up, face public. « J’adore l’Espagne », entame l’artiste avant d’exposer son image du pays, une construction composées de figures mainstream (Julio Iglesias, Penelope Cruz) et d’une fascination pour la « grande nation » et ses traditions.
Comme dans We love arabs, satire caustique dans laquelle il exploitait le corps et l’histoire d’un interprète palestinien, Kogan se glisse volontiers dans un personnage monstrueux, politiquement incorrect. Ici, il illustre son propos sur la balkanisation de l’Espagne par une moquerie du territoire acculé de Gaza ; là, il vante l’idéologie fasciste de la grande nation ou mime l’image d’une svastika sous les lumières rouges de Nadav Barnea. Puis la parole se mêle à la danse, la rythmique de la logorrhée se mêle à celle des palmas et des zapateos, ces claquements de mains et de talons qui structurent la musique andalouse. La mise en place de ces principes dans la première moitié du spectacle est si fulgurante, si convaincante qu’elle mène d’ailleurs à une baisse de régime, comme s’il manquait à la suite de la puissance nécessaire pour mener à terme ces opérations fascinantes.
Davantage qu’un réel sujet d’étude et de déconstruction chorégraphique (même si sa grammaire se mêle, chez le danseur, à celle du contemporain), le flamenco se fait ici le prisme ou le prétexte d’une expression du rapport contrarié du Juif à la nation, d’un désir ontologiquement inaccompli d’ancrage dans une terre, celle que frappent les claquettes et qu’arpentent les taureaux dans leurs ganaderías. Ce fantasme, Kogan en montre l’irrépressible ambivalence, qu’il élève en principe dramaturgique. Mais plutôt que de prescrire, de discourir, de moraliser, il préfère donc en faire la matière d’un autoportrait aussi amoureux que contrarié, avec son titre pour étendard : this is (S)pain.
Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Avignon
THISISPAIN d’Hillel Kogan
La Manufacture/Château de Saint-Amand – Festival Off Avignon
2 bis rue des écoles, 84000 Avignon
Du 7 au 24 juillet 2023 à 15h40
Durée 1h55 trajet compris
Reprise
5 au 17 novembre 2024 au Théâtre du Rond-Point
Chorégraphie Hillel Kogan
Interprète(s) Hillel Kogan Michal Natan
Régisseur général Nicolas Priouzeau
Dramaturge Yael Venezia
Lumières Nadav Barnea
Traduction Noémie Dahan