Gueules noires, prisonniers du bassin minier qui les a vu naître, ils ne s’imaginaient pas autrement qu’ouvriers. Soutenus par leur syndicat, ils vont créer un courant artistique qui marquera l’entre-deux-guerres. Mise en scène avec simplicité par Marc Delva et portée par des comédiens épatants, la fable populaire de Lee Hall prend des accents humains et sociaux à la Ken Loach. Captivant !
Au son métallique des grincements assourdissants de machines invisibles, les spectateurs plongent dans le cœur d’un sous-sol sombre et poussiéreux, dans les entrailles d’une terre noire. Suivant d’étranges et étroites coursives, ils sont accueillis par un homme brusque, aimable, pressant, au visage noirci (étonnant James Borniche). Une loupiote rouge clignote. Il est temps de prendre l’ascenseur et de descendre au fond du puits de cette mine du nord de l’Angleterre. Un autre homme (ténébreux Thomas Brazete) attend. Brun, vêtement d’un autre temps, regard sombre, peu commode, il a tout du contremaître. Dirigiste, il presse les nouveaux arrivants à s’installer de chaque côté d’une scène, où seul un bureau de fer vintage sert d’unique décor. L’alarme résonne. Le silence s’installe.
Totalement mis en condition par ce prologue, on a depuis longtemps quitté Paris pour la terre noire d’Ashington. Il fait nuit. Il est tard. Un petit groupe de mineurs se réunit dans une cabane étroite et mal chauffée. Encouragés par leur syndicat, ils suivent des cours leur permettant de s’ouvrir au monde, de s’évader un peu de leur quotidien. Après la biologie, il est temps de découvrir l’art et son histoire. Pour cela, ils ont demandé à une huile universitaire de leur dispenser un peu de son savoir. Erreur d’aiguillage, de destinataire, c’est Robert Lyon (guindé Paul Emile Petre), un tout fringant et obscur professeur d’art plastique d’un « College » des environs qui fait son entrée. D’incompréhension en confrontation, de dialogues houleux en prise de conscience, cette rencontre entre deux mondes que tout oppose en ces années 1930, ouvrier d’un côté, intellectuel de l’autre, va faire des étincelles, être le terreau d’un art nouveau, d’un courant de peinture ancré dans la terre noir charbon.
Au plus près des comédiens, le public se laisse totalement happé par cette histoire vraie, ce conte populaire qu’a retranscrit avec simplicité, Lee Hall, connu pour avoir écrit le captivant Billy Elliot. Sans pathos, avec sensibilité, il brosse le portrait haut en couleurs de ces gueules noires gouailleuses, devenues peintres à leurs rares heures perdues. Evitant les clichés, s’interrogeant sur la condition humaine, il signe une fable sociale, drôle, touchante, une réflexion passionnante sur l’art et sa nature universelle S’imprégnant des codes de ces travailleurs plus habitués aux galeries sombres des mines qu’aux galeries d’art, aux salles de musée où leurs œuvres sont maintenant accrochées aux cimaises, le sémillant Marc Delva signe une mise en scène sobre, virtuose. Préférant l’épure à la surreprésentation des tableaux qui feront le succès du Ashington group – certaines œuvres seront montrées en guise de conclusion – , s’intéressant aux jeux plus qu’au décorum, il guide ingénieusement sa troupe. Ainsi, les comédiens, dont l’épatant Florent Hu, le sensible Solal Forte et le tonitruant Emmanuel Rehbinder, évoluent sur scène avec des tableaux blancs, des cadres vides laissant à chacun libre cours à son imagination. L’effet est saisissant, brillant.
Plongez dans la mine, laissez-vous happer par ces créateurs qui ont su donner à leur quotidien gris, une force artistique, une puissance picturale, en transcendant le monde ouvrier, en lui offrant une place de choix dans l’univers muséale. Hissant haut les valeurs humaines comme la fraternité, le devoir, l’amitié, ce petit bijou est à découvrir au plus vite…
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Les peintres au charbon de Lee Hall
Théâtre 13 – côté Seine
Rue du chevaleret
75013
Jusqu’au 28 mai 2017
du mardi au samedi à 20h et le dimanche à 16h
durée 2h15 sans entracte
Traduction de Fabrice Melquiot (L’Arche est éditeur et agent théâtral du texte représenté) Adaptation et mise en scène de Marc Delva assisté de Florent HU et d’Elodi Galmiche
Avec Hugo Bardin, James Borniche, Thomas Brazete, Solal Forte, Elodie Galmiche, Florent Hu, Marie Petiot ou Elise Fourneau, Paul Emile Petre, Emmanuel Rehbinder
Création Lumière de Julien Kosellek
Création sonore de Luc Delva
Scénographie de Marc Delva, de Thomas Brazète et de Florent Hu
Création costume/ Coiffure / Maquillage de Hugo Bardin
Création mapping vidéo d’Arnaud Berthonneau, de Romain Da Costa et d’Olivier Carru (Digital Essence)
Production Le collectif La Cantine, avec la participation artistique du Jeune Théâtre National
Crédit photos © Suzanne Rault-Balet