Cette jeune compagnie émergente, implantée en Normandie, propose une version assez surprenante et très réjouissante d’Yvonne, princesse de Bourgogne de l’auteur polonais Witold Gombrowicz.
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Publiée en 1938, la pièce Gombrowciz n’a été jouée qu’en 1957. Depuis, c’est son oeuvre la plus montée. Nous avons encore en mémoire la version de Philippe Adrien et de Jacques Vincey. Ici, la pièce est écourtée dans son titre, pour que l’on ne la confonde pas avec un jeune public, et dans sa longueur, certaines scènes ayant été élaguées. En mettant l’accent sur le personnage d’Yvonne et en resserrant l’action vraiment autour d’elle, ces jeunes gens talentueux se concentrent sur tout le grotesque de cette tragédie. Cela fonctionne à merveille.
La cruauté du monde face à l’innocence
Le prince Philippe s’ennuie, en bon petit gosse de riche qui ne manque de rien. Un soir de drague, il tombe sur une étrange jeune fille. Une mocheté empotée qui ne dit mot, ne semble ne rien comprendre à ce qui se passe autour d’elle. En réaction à cette loi de la nature qui dit que les beaux doivent épouser des belles, le jeune homme décide de la demander en mariage. Ça perturbe la cour royale, laquelle révèle ses pires penchants. Très vite, l’idée de se débarrasser d’Yvonne devient l’obsession de tous. Harcèlement et consentement sont au cœur du propos. Jusqu’à quelle limite les bourreaux peuvent-ils aller ? Jusqu’où l’humain peut sombrer dans la monstruosité ?
Un esthétisme performant
Avec une lucidité terrible et jubilatoire, Chloé Bourhis et Clément Le Roux nous entraînent dans un théâtre physique. Le ton burlesque choisi souligne toute la cruauté de ce texte sublime, qui gratte et qui dérange. L’inventivité de leur travail et l’énergie qui en résulte les inscrivent dans la lignée des jaillissements du Munstrum théâtre de Louis Arene et Lionel Lingelser.
Le rôle d’Yvonne est difficile à aborder. Cela demande de faire passer par le corps, tout ce qui ne peut être dit par la parole. On se demande souvent si ce personnage n’est pas tout simplement handicapé, et si ce n’est pas la vraie raison de son exclusion. Mélissandre Archimbaud y est exceptionnelle. Clément Le Roux (puissant prince Philippe), Johann Poels (solide roi affaibli), Matthieu Gabanelle (irrésistible chambellan), Léa Levy (impayable reine), et le pianiste-comédien Quentin Carpentier (émouvant mendiant), par la puissance de leur interprétation, nous proposent un beau et fort moment de théâtre.
Marie-Céline Nivière – Envoyée spéciale à Avignon
Yvonne d’après Witold Gombrowicz
Festival Off Avignon – La Factory – Salle Tomasi
4 rue Bertrand 84000 Avignon.
Du 7 au 29 juillet 2023 à 20h50, relâche les lundis.
Durée 1h15.
Traduction Konstanty Jelenski et Geneviève Serreau.
Mise en scène de Chloé Bourhis et Clément Le Roux
Avec Clément Le Roux, Mélissandre Archimbaud, Johann Poels, Léa Levy, Matthieu Gabanelle, Quentin Carpentier en alternance avec Nathan Prieur.
Lumières de Thomas Ozeray.
Régie Chloé Bourhis (son) et Thomas Ozeray (lumière).