Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
La tour de la Défense de Copi, mis en scène par Emmanuel Daumas en 2005 au Théâtre des Ateliers à Lyon. J’avais déjà vu (un peu) de théâtre, j’en faisais en amateur depuis mes 10 ans. J’ai alors 18 ans et je découvre en même temps par cette pièce le théâtre contemporain, Copi, des interprètes queer… j’ai une impression fantastique mêlée de grande familiarité et d’éblouissement.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
J’ai 21 ans, je suis parti finir ma licence de sciences cognitives à Vancouver. Face à moi-même pendant un an, je reviens fort de cette incroyable expérience, et je me dis que je dois suivre ce désir qui me poursuit depuis plusieurs années. Ma licence en poche, je passe le concours du Conservatoire Régional de Lyon.
Qu’est-ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédien ?
Depuis les débuts dans l’enfance en amateur, le théâtre, c’est l’endroit de l’échange, de la découverte. Ça a toujours été grâce au théâtre que je fais des rencontres qui me déplacent, que j’apprends au contact des autres. Dans une famille qui ne s’intéresse pas à l’art, ça m’a forcé à explorer par moi-même, et j’y ai vite pris goût.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
À 18 ans, j’ai rencontré par hasard l’artiste July Collignon (qu’on connaît aujourd’hui sous le pseudo de la chanteuse Buridane). Tous deux étudiants à la fac, on a créé un spectacle à 4 qu’elle a écrit, mis en scène, chorégraphié. Pour la première fois, mon interprétation impliquait une grande dose de proposition personnelle et d’implication (on avait filmé la nuit sur des départs de rail, pour une autre séquence, on avait filmé des parties de nos corps).
Il y a dans ce souvenir le début d’une intuition qu’on crée mieux en groupe, que les spectacles sont plus forts quand il y a quelque chose de nous dedans.
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
En 2010, je suis ouvreur à l’Opéra de Lyon, qui accueille Nelken de Pina Bausch. J’ai l’occasion de le voir plusieurs fois, à différents postes. Au plus près des artistes, je vois la sueur et les genouillères sous les costumes élégants, je vois les blagues dans les coulisses, tandis que j’assiste à un spectacle total, d’une émotion inégalée, et un public qui sait qu’il a devant lui un événement rare. Un soir, je reste un peu plus tard, il y a un pot pour des mécènes. Je repasse dans la salle vide, sur la scène le décor en désordre du spectacle fini quelques heures plus tôt. J’ai encore chez moi une des fleurs du décor (un œillet en tissu) que j’ai volé.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Bajour : Avec une petite moitié de ma promotion de l’école du TNB, on s’est vite bien entendus. L’école nous a donné quelques occasions d’éprouver cette amitié, et à la sortie, nous a donné les moyens de créer notre premier spectacle, et depuis 8 ans ça ne s’est pas arrêté. Compagnons d’entrée dans la vie professionnelle, amis dans les succès et les galères, collègues pour explorer nos créativités et nos organisations de travail, aujourd’hui, c’est la colonne vertébrale de mon activité.
Katell Daunis : On a eu la chance de créer ensemble Amours et Solitudes, mis en scène par TG Stan – Frank Vercruyssen (Talents Adami 2016). Notre amitié s’est soudée autour de l’amour de ce théâtre et des textes, notamment ceux de Duras. Le spectacle Je voudrais parler de Duras est aussi un témoignage de cette amitié.
Le cabaret Le Secret : Depuis 2020, je réalise un rêve, j’ai rejoint l’incroyable famille du cabarettiste Monsieur K. Une joyeuse bande, pleine de talents, de bienveillance, de folie, qui crée des soirées mémorables au Truc du Père Lachaise, ou un peu partout en tournée. Je me suis choisi l’alias Louise de Finesse, c’est à la fois un terrain de jeu et d’expérimentation qui m’est indispensable aujourd’hui.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
J’aime travailler. J’ai besoin de créer, de varier les théâtralités, les équipes, de voyager. Je sens que je suis dans une phase de croissance, j’ai envie de redoubler d’eorts pour multiplier les expériences, pour auter mes outils, dans le jeu, mais aussi dans l’écriture, la pédagogie… C’est par ça que j’en apprends sur mon fonctionnement, sur ma façon de me lier aux autres.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Aujourd’hui, je me sens poussé par le challenge, la nouveauté. J’ai à cœur de faire des choses variées et ça demande beaucoup de souplesse, d’organisation, de travail, mais c’est extrêmement nourrissant d’un point de vue créatif.
Je me sens porté par l’énigme du futur : à quoi ressemblera ma vie, le monde autour de moi dans 10-15 ans ? Comment ce futur est-il déjà en train de se préparer dans mon présent immédiat ?
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
L’école où je me suis formé, l’école du TNB, sous la direction d’Eric Lacascade, m’a présenté mon métier comme celui d’un artisan, qui remplit sa boîte à outils au fil des ans, qui les perfectionne expérience après expérience. C’est un travail méthodique, patient.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Je fais partie des acteurices qui transpirent : j’en ai eu longtemps honte, c’était une source de blagues entre copains, mais c’est très concret : Ma peau parle pour moi ! Je ne peux rien cacher à mes partenaires, si j’ai un coup de stress, je transpire. Dès que je suis lancé, je transpire. Aujourd’hui, je l’accepte comme un indicateur pour moi, comme un témoin de mon travail pour les autres.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
J’aimerais travailler avec les metteurs en scène Guillaume Vincent, Joël Pommerat et Gisèle Vienne. Laurent Poitrenaux est l’acteur avec qui je rêve de jouer.
L’écrivain Paul B Preciado, l’autrice Donna Haraway, la chanteuse Justin Vivian Bond.
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Je rêve d’une folle adaptation théâtrale du film All that jazz (Que le spectacle commence) de Bob Fosse, à mi-chemin entre un cabaret, une pièce de théâtre.
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
Le tarot de Marseille. À la fois un jeu de cartes, un creuset à histoires et à symboles, un peu d’ésotérisme aussi peut-être…
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
À l’Ouest du collectif Bajour
Festival Off Avignon – La Manufacture
2 bis, rue des écoles 84000 Avignon.
Du 7 au 24 juillet 2023 à 11h20, relâche les 12 et 19 juillet.
Durée 2h20.
Je voudrais parler de Duras d’après les entretiens d’Yann Andréa avec Michèle Manceaux
Editions Pauvert
Théâtre du Peuple
du 11 août au 2 septembre 2023
puis les 25 et 26 Septembre à 21h au Théâtre des Déchargeurs.