Antigone in the Amazon de Milo Rau © Armin Smailovic

Milo Rau, Antigone et l’Amazonie

À la Villette, Milo Rau présente, du 6 au 9 décembre 2023, sa nouvelle création, "Antigone in the Amazone", d'après l'œuvre de Sophocle.

Antigone in the Amazon de Milo Rau © Armin Smailovic

Chacune de ses pièces est un évènement. Il est à lui seul un symbole du théâtre contemporain. Suisse, jonglant à l’aise entre français, anglais, néerlandais…, directeur du NTGent et du festival Wiener Festwochen, détenteur de multiples prix et distinctions, Milo Rau est la star anti-star. A la demande d’un groupe de militants en Amazonie, son équipe et lui ont travaillé à partir de l’Antigone de Sophocle. Militant mais pas toujours convaincant. 

© Armin Smailovic

Lorsqu’il y a une quinzaine d’années, il a débarqué sur la planète « scène » avec ses pièces coup-de-poing, ne ressemblant à aucune autre — de Hate radio (la radio de la haine du génocide rwandais) en 2011 à La Reprise – Histoire(s) du théâtre (I) (le meurtre d’un homosexuel) au plus récent Familie (suicide collectif), il a bousculé beaucoup de codes, insufflant une force géniale au théâtre et à ses représentations.

Du drame, du tragique, de l’Antique
Antigone in the Amazon de Milo Rau © Armin Smailovic
© Armin Smailovic

La tragédie antique, celle qui puise aux mythes et permet d’évoquer ici des crimes, des meurtres, des disparitions qui seraient advenus dans des temps immémoriaux, l’Histoire cosmogonique appelée comme miroir de l’histoire contemporaine, Milo Rau l’a déjà abordée avec Oreste à Mossoul. Il continue avec Antigone, évoquant l’héroïque fille d’Œdipe célébrée par Sophocle par le biais d’une autre résistante incarnée par l’actrice Kay Sara qui milite au Mouvement des sans terre au Brésil.

Une résistante, un groupe qui peut être désigné « chœur », un peuple à défendre… : l’aventure a commencé en 2019, lorsque la compagnie du NT Gent était en tournée au Brésil. Des militants du Mouvement des sans terre ont proposé à Milo Rau de travailler ensemble. Restait à choisir un thème, une œuvre : ce fut Antigone : « J’avais justement à cette époque un intérêt pour les grands mythes, dit Milo Rau, je venais juste de faire un film sur Jésus, le nouvel évangile. »

Les « sans terres » brésilien

Le 17 avril 1996, sur la route 155, dans l’état de Para au nord du Brésil, près de l’estuaire de l’Amazone, la répression d’une manifestation du Mouvement des sans terre par la police militaire a entraîné la mort de dix-neuf manifestants. Les organisations paysannes internationales ont décrété cette date, jour international des luttes paysannes et chaque année une commémoration a lieu. Ce sera le point central de cette Antigone. Là, Milo Rau et son équipe filment tout ce qu’ils peuvent. A peine une poignée de résistants encore, combattants toujours, une femme surtout, Maria, qui le subjugue par son charisme et sa force. Mais Kay Sara qui est une actrice célèbre au Brésil décide d’abandonner le projet en cours de route, préférant se consacrer à la lutte. Milo Rau perd son Antigone, il se dit déçu mais accepte la décision de l’actrice : « elle n’a pas supporté d’être devenue une sorte d’objet « exotique », presque fétichisée dans certains pays d’Europe, nous dit Milo Rau. J’ai pu la filmer pendant la longue période où nous avons travaillé ensemble, matériau que j’utilise pendant le spectacle. » 

En quête d’Antigone

Que reste-il alors ? Un moment de théâtre bancal entre scènes filmées et celles jouées sur scène par deux acteurs brésiliens dont un qui a pris en charge le rôle d’Antigone et deux de la compagnie NTGent. Milo Rau ajoute : « du coup l’absence est devenue une métaphore très forte dans la pièce, une dimension très réelle du regard européen. Les analogies entre Sophocle et le drame en Amazonie chez Sophocle existent. Entre autres : le massacre causé par la guerre civile entre les deux frères Etéocle et Polynice et celui de la route 155 où la police a tué des habitants. ». 

Le travail avec les paysans du Mouvement des sans terre lui a permis d’explorer encore plus loin la perception que chacun a de l’autre : « La rencontre avec le peuple indigène est toujours un moment ethnographique politiquement questionnable. J’ai été surpris lorsque ce regard « ethnologique » s’est retourné, si je puis dire. J’ai vu le groupe des hommes et des femmes du Mouvement des sans terre qui travaillaient avec nous regarder les Européens faire du théâtre « européen ». Ils les regardaient comme nous, nous les aurions regardés pendant une « danse rituelle ». C’était incroyable. Je n’avais pas prévu de les filmer. A un autre moment, quelqu’un nous a dit : « vous parlez une langue ancienne ! C’est beau pour moi d’écouter ça… » C’était une sorte d’ethnologie en miroir de Claude Levi Strauss qui partait chez les sauvages pour leur expliquer leur vie . Il y a eu beaucoup de choses comme ça. »

À l’écoute du monde

Comme pour ses autres pièces, Milo Rau n’avait pas d’idée préconçue avant de commencer celle-ci : « comme je l’ai dit dans le manifeste de Gand lorsque j’ai pris la direction du théâtre, « le processus est plus important que la première représentation ». On ne sait jamais où on arrive et c’est pour ça que je fais du théâtre en fait. La réalité se réalise dans la pratique, ce serait mon idéologie. Les pièces sont constamment travaillées et continuent à être présentées. Un de mes acteurs disait avant sa mort : « avec des metteurs en scène normaux tu ne sais pas où tu vas, mais avec Milo, tu ne sais même pas quand ça commence ».

Il conclut la conversation sur la réalité globale que nous vivons : informations, techniques, climat, histoire… « L’acteur qui joue Tirésias est un philosophe indigène et il m’a dit un jour que le capitalisme est la première idéologie vraiment globalisée. Mon questionnement d’homme de théâtre est celui-ci : comment vraiment parler de la condition humaine mondialisée d’aujourd’hui ? D’autres acteurs dans le monde du théâtre se posent la même question et tous ont formé des collectifs : c’est une nécessité. Parce que les milliers d’acteurs européens ou d’étudiants en théâtre petit-bourgeois qui lisent Antigone et s’imaginent être Antigone ou Créon ne m’intéressent pas : c’est la répétition de la même chose, du même contexte culturel, alors qu’avec un collectif, quelque chose d’imprévu surgit, c’est ce que je cherche dans ces rencontres avec les autres, tous les autres. ». Et cette question, toujours brûlante au cœur de son théâtre : « quelle place tient la mort dans nos vies ? ».

Brigitte Hernandez – Envoyée spéciale à Douai

Antigone in the Amazon de Milo Rau
Du 6 au 9 décembre 2023 à La Villette (Paris)

Festival d’Avignon
L’Autre scène du grand Avignon-théâtre de Vedène
Avenue Pierre de Coubertin 
84270 Vedène
du 16 au 24 juillet, 21h30. 
Durée 1h50
spectacle en anglais, portugais, tucano, flamand et français
Surtitré en français et en anglais et dispositif pour la langue des signes. Durée 2 heures environ.

Tournée 
Le 22 et 23 septembre 2023 à Kaserne Basel (Suisse) 
Le 3 et 4 octobre 2023 au Teatro Argentina dans le cadre du Romaeuropa Festival (Italie) 
Le 20 octobre 2023 au Teatro Polski (Pologne) 
Du 25 au 28 octobre 2023 au Théâtre des Célestins dans le cadre du Festival Sens Interdits (Lyon) 
Les 11 et 12 novembre 2023 au Culturgest (Portugal) 
Les 16 et 17 novembre 2023 au Teatro Municipal do Porto (Portugal) 
Le 22 et 23 novembre 2023 au Centro Cultura Contemporanea Condeduque (Espagne) 
Le 28 novembre 2023 à l’Équinoxe Scène nationale de Châteauroux 
Du 6 au 9 décembre 2023 à La Villette (Paris) 
Du 23 et 24 janvier 2024 au Thalia Theater (Allemagne) 
Le 30 janvier 2024 au Stadsschouwburg Brugge (Belgique) 
Le 7 février 2024 De Warand, dans le cadre du Stilte Festival (Belgique) 
Du 22 au 25 février 2024 au Schauspielhaus Zürich (Suisse) 
Le 1er et 2 mars 2024 au De Singel-Rode Zaal (Belgique) 
Le 7, 8 et 9 mars 2024 à l’Espoo City Theatre (Finlande) 
Du 19 au 22 juin 2024 au Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse) 

Conception et mise en scène de Milo Rau 
Avec Frederico Araujo, Pablo Casella, Sara De Bosschere, Arne De Tremerieet en video Gracinha Donato, Ailton Krenak, Célia Maracajá, Kay Sara, le chœur des militantes et militants du Movimento dos Trabalhadores Rurais Sem Terra (MST) 
Dramaturgie de Giacomo Bisordi

Co-dramaturgie de Martha Kiss Perrone
Collaboration à la dramaturgie – Kaatje De Geest, Douglas Estevam, Carmen Hornbostel
Scénographie d’Anton Lukas
Costumes Gabriela Cherubini, Jo De Visscher, Anton Lukas
Lumière Dennis DielsMusique Pablo Casella, Elia Rediger
Vidéo Moritz von Dungern, Fernando Nogari, Joris Vertenten
Assistanat à la mise en scène – Katelijne Laevens assistée de Carolina Bufolin, Zacharoula Kasaraki, Lotte Mellaerts

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