Comme il est jouissif, ce spectacle ! Comme le spectateur se sent heureux, même serré dans son inconfortable siège baquet, dans le délicieux jardin de la rue Mons de la Maison Jean-Vilar. Lieu chargé d’histoire, celle du Festival depuis Vilar… Heureux parce qu’on lui donne, comme une main tendue, un théâtre généreux et drôle, grave et sautillant avec des complices formidables, ceux qui travaillent avec le metteur en scène depuis le début, et qui nous surprennent à chaque vers de ce cher Shakespeare sans qui aucune édition du Festival d’Avignon ne saurait exister.
Épure et dépouillement de jeux
Ici Le Songe d’une nuit d’été, sans aucun artifice, sans décor, à peine deux globes comme des grosses lanternes de 14 juillet qui éclairent et assombrissent quand il le faut les actions folles des quatre comédiens, Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Barbara Jung et Grégoire Monsaingeon, accompagnés de deux jeunes qui font leurs armes : Jules Guittier et Nicolas Prosper. Qui jouent, ah oui et quel(s) jeu(x) ! à grand renfort de changement de costumes, près d’une douzaine de personnages. Les voix changent, les postures et démarches brouillent les pistes selon le rôle. Mais qui est qui ? Les grillons s’en donnent à cœur joie, rivalisant avec les voix d’Hermia, Demetrius, Lysandre et Héléna.
Puck, Titania et les autres
Au début, la confusion agite les cartes et peu à peu on rend les armes, la folie prend la tête et les comédiens nous prennent par la main, changeant de ton comme de vestiaire : passant des shorts et débardeurs aux longues tuniques et puis finalement, allez hop, en soutien-gorge et slip. Pas question de perdre du temps, du mordant voilà ! Démétrius a beau s’étonner, il faut qu’il poursuive Lysandre qui ne comprend rien non plus mais arrive Titania — ah, c’était Héléna il y a cinq minutes, non ? Et les longues jambes de Lysandre portent à présent la tête du facétieux Puck… Hermia est devenue la régisseuse d’une troupe de comédiens qui répètent une pièce pour le mariage de Thésée et de la reine des Amazones, comme dans Hamlet. Car sans théâtre dans le théâtre, sans le miroir qui ne renvoie que des projections et jamais la réalité, sans aventures fausses qui disent la vérité vraie, à quoi bon le reste ? Notre troupe « d’amateurs » cherche tous les moyens pour que les nobles spectatrices ne soient pas effrayées ni par le lion ni par le sang.
Ça tourne dans tous les sens, érotique, interdit, dans ces bois où le temps passe à saute-mouton d’un univers à l’autre, l’amour fait n’importe quoi et s’il finit par l’emporter sur la déraison, les épreuves doivent tout de même pleuvoir : il suffit que deux amoureux se disent convaincus par l’amour que chacun ressent pour l’autre pour que, badaboum, un sort jeté par une reine des fées et son acolyte et… l’amoureux en aime un(e) autre. Les filles se lamentent, s’énervent, comparent leurs atouts « je suis plus grande, ses yeux sont plus beaux et… » les garçons font ce qu’ils peuvent et nous, on rit.
Une mise en scène à l’os
Gwenaël Morin sculpte l’essentiel, comme toujours, et l’essentiel ce n’est pas la superproduction, ah non ! mais ce qui est écrit qui doit être dit et entendu. « Less is more» professait le créateur du Bauhaus Mies van der Rohe. Ni tonnes, ni trop-plein. Pourtant les comédiens en font beaucoup mais « ajustés », drôlement, finement : mimiques de doute, yeux écarquillés par la surprise de la volte-face de l’amant, moues de l’enfant qui ne comprend plus rien aux règles de ce jeu, corps agités par trop de pensées, de pulsions. La faible devient forte, l’aimée déplait, l’amour ne les aime plus pareil, rien ne dure, on peut être reine et tomber amoureuse d’un âne, on peut être un pauvre menuisier et devenir un lion ! « Aucun rêve n’est vain, dit Gwenaël Morin, même le plus insignifiant ou encore le plus noir. » A la fin, on en veut encore. C’est du théâtre ! C’est la vie ! C’est pour jouer ! C’est pour penser, c’est pour rire ! Ah, que c’est bon !
Brigitte Hernandez – Envoyée spécial à Avignon
Le Songe d’après Williams Shakespeare
Création le 13 juillet 2023 au Festival d’Avignon
Du 28 novembre au 6 décembre 2023 au Théâtre public de Montreuil
du 27 septembre au 20 octobre 2023 à la Grande Halle de la Villette
Tournée
les 12, 13 et 14 décembre 2023 à La Coursive Scène nationale de La Rochelle
les 19 et 20 décembre 2023 au Théâtre de la Coupe d’Or (Rochefort)
Du 10 au 18 janvier 2024 au Théâtre Garonne Scène européenne (Toulouse)
le 23 janvier 2023 à L’Estive Scène nationale de Foix et d’Ariège
les 25 et 26 janvier 2024 au Parvis Scène nationale Tarbes Pyrénées (Ibos)
les 31 janvier et 1er février 2024 à l’Espace Malraux Scène nationale de Chambéry
les 19 et 20 mars 2024 à L’Empreinte Scène nationale de Brive-Tulle
les 29 mars 2024 à Spazio Culturale Natale Rochiccioli (Cargèse)
le 3 et 4 avril 2024 au Théâtre L’Aire Libre (Saint-Jacques-de-la-Lande)
le 7 mars 2024 au Théâtre de Bressuire
Du 12 au 14 mars 2024 au Tap Scène nationale de Poitiers
Mise en scène et scénographie Gwenaël Morin
Avec Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Jules Guittier, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Nicolas Prosper
Dramaturgie d’Elsa Rooke
Chorégraphie de Cecilia Bengolea
Création sonore de Grégoire Monsaingeon
Lumière de Philippe Gladieux
Costumes d’Elsa Depardieu
Régie générale – Jules Guittier, Nicolas Prosper
