À la Scierie, dans le cadre du OFF d’Avignon, le chorégraphe grenoblois présente une de ses plus belles création, Outrenoir. Avec sensibilité et élégance, il donne, tout comme Soulages, au noir des nuances aux milles couleurs. Homme discret, autant que généreux, François Veyrunes a l’art du geste. Il suffit de parcourir Trilogie(s), le livre de photos édité par sa compagnie pour s’en convaincre.
© Christophe Guibbaud
Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Un spectacle de danse Félix Baška à la Maison de la Culture de Grenoble où ma mère m’avait amené adolescent.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Les hasards de la vie, on fait que nombre de concours de circonstances, ont amené ma famille à accueillir la danseuse et chorégraphe Néerlandaise Mirjam Berns chez nous alors qu’elle allait accoucher de son 1er enfant. Elle devait rester quelques semaines en attente du passeport de celui-ci. Elle a finalement vécu à nos côtés par intermittence de nombreuses années.
Alors qu’elle ne travaillait pas encore pour Jean-Claude Gallotta (le CCN n’existait pas encore), un après-midi, elle m’a convié à un atelier chorégraphique avec nombre de danseurs pro… Ça a été une révélation ! Bien que totalement néophyte, je me suis senti comme un poisson dans l’eau.
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être danseur et chorégraphe ?
La rencontre de Mirjam, celle de Jean-Claude Gallotta, puis ensuite la découverte des spectacles de Pina Bausch, de Merce Cunningham, Sankaï Juku, Carlotta Ikéda. Ma formation au CNDC d’Angers et mon séjour à NYC ont été déterminants.
Le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
Pièce de Mirjam Berns pour une douzaine de danseuses et danseurs au CNDC. Mon souvenir est encore très intense autour de quelques bribes du spectacle. Intensité des sensations, intensité augmentée dans la perception de « l’espace entre », une perception que le temps se distord dans une forte densité pour devenir palpable comme une pâte très épaisse. Une joie intense et profonde d’être dans le temps pleinement présent. Être là, avec soi-même et avec les autres, dans un espace-temps unique !
Votre plus grand coup de cœur scénique ?
Café Müller (1978) de Pina Bausch. Pictures (1984) de Merce Cunningham.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Mirjam Berns, j’en ai déjà parlé, elle est fondatrice dans mon parcours initial, tant dans mes fondations en tant que danseur, puis chorégraphe, mais plus largement dans ce qu’elle m’a permis d’entrevoir dans une dimension sensible et spirituelle dans le rapport à la vie, dans la construction de mes valeurs.
Merce Cunningham rencontré à plusieurs reprises, notamment lorsqu’il travaillait sur les prémices de son logiciel « Life form » début des années 1980. Une ouverture et un partage autour de ses axes majeurs de son écriture et de ses préoccupations artistiques.
François Verret avec qui nous avons intensément échangé et collaboré alors que nous étions associés à la MC2 Grenoble sur les questions d’écritures, de création, dans nos postures pour développer la culture chorégraphique en envisageant intimement la création et l’action culturelle comme deux alter egos indissociables.
Mon frère Philippe Veyrunes – plasticien et scénographe et Christel Brink Przygodda – danseuse, dramaturge et chorégraphe avec qui je travaille depuis plus de 30 ans. Engagement exigeant et réciproque au service d’un projet artistique bien plus grand que nous.
En quoi votre métier est essentiel à votre équilibre ?
C’est apparemment simplement de la danse et pourtant indissociable du sens de ma vie. Il s’agit d’un essentiel, c’est dans ma vie le langage depuis l’indicible et l’impalpable, le lieu du ressourcement, totalement incarné. Il me permet d’être connecté avec moi-même tout en étant dans la relation à l’autre et en lien avec l’espace autour.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
Les questions autour :
• du vivant, de tous les vivants.
• de l’être en tant que sujet.
• de l’invisible, l’impalpable, d’être à l’affût des causes plutôt que les effets ou les symptômes, aller creuser derrière l’apparente banalité du quotidien.
• de la dignité, la responsabilité, de l’intégrité transposées dans le champ gravitaire.
• les personnes que je rencontre dans l’exercice de mon métier, les danseurs, circassiens, musiciens, comédiens, mais aussi tout un chacun avec qui je partage ma démarche au cours d’ateliers ou de rencontres, adultes, enfants, adolescents, détenus, personnes en situation de précarité, personnes âgés ou hospitalisés, etc…
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Du sacré, sa-crée, dans une dimension non-religieuse.
À quel endroit de votre chair, de votre corps, situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Au très fond de mon être, au niveau du cœur et des tripes. Même si je suis également beaucoup dans l’intellect et l’esprit. C’est le « ET qui relie » le corps ET l’esprit.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Miles Davis
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
J’ai fait des créations dans la neige, sur des pentes herbeuses en montage, mais je n’ai pas pu réaliser une chorégraphie sur un glacier ou sur les parois de l’aiguille du Midi à Chamonix. Ça a failli se faire, en vain ! Tout comme la pièce que je devais faire avec 300 moutons, leurs chiens de bergers et un orchestre de chambre au col de la Croix de Fer.
13. Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
L’homme qui marche d’Alberto Giacometti
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Outrenoir de François Veruynes
Compagnie 47.49
Création les 10 et 11 octobre 2019 à Grenoble
Festival OFF d’Avignon
La Scierie
5 bd du quai St Lazare
84000 Avignon
du 7 au 19 juillet – jours impairs à 15h35
Trilogie(s) – Compagnie 47-49 François Veyrunes, le livre.
Parution le 05 juillet 2023
Photographies de Guy Delahaye
textes de Marie-José Sirach
Conception visuelle et Graphique – Philippe Veyrunes
304 pages
Prix conseillé 39 €