Metteur en scène et plasticien, cette figure incontournable d’Avignon dirige le théâtre des Halles depuis quarante ans. Dédié au théâtre contemporain, ce lieu permanent de la cité des Papes propose toute l’année des découvertes et des spectacles de qualité. Rencontre avec un artiste-artisan d’une belle générosité d’esprit et de cœur.
© Barbara Buchmann
Depuis votre installation en 1983, on peut dire que vous avez vu l’évolution du Festival Off d’Avignon…
Alain Timár : 1983, c’était les prémices. La véritable ouverture, c’est 1985. Historiquement, le Off a évolué. Je pense qu’il n’y a pas qu’un Off, tout comme il n’y a pas qu’un In. Somme toute, il y a plusieurs festivals dans le festival et Avignon montre ici de multiples facettes du théâtre, tant par les choix artistiques que par les choix économiques. Une incroyable variété de positions et positionnement des artistes et des lieux s’offre au public. Chacun sait que le festival s’est profondément transformé, ne serait-ce que par le nombre de spectacles, la phase exponentielle apparaissant essentiellement après 1968. Et puis, il y a cette démangeaison des artistes et des compagnies à vouloir se produire. On ne peut pas les en blâmer. Mais c’est ce qui fait qu’Avignon est devenu ce grand lieu de rassemblement du spectacle. On est passé progressivement d’un nombre raisonnable de spectacles à un chiffre qui donne le tournis : cette année, on arrive à 1 500 dans le off, et une quarantaine dans le In. Et si j’inclus les spectacles de rue, qu’ils soient modestes ou plus élaborés, on avoisine les 1 600.
Le Théâtre des Halles, depuis le début, c’est une couleur, celle du texte contemporain…
Alain Timár : À couleur, je rajouterais nourriture. La nourriture des Halles est effectivement élaborée par rapport au théâtre contemporain et au choix de la création. C’est un lieu de création mais aussi d’accompagnement des compagnies en production et en diffusion. Depuis toujours, nous ne nous positionnons pas dans une logique de location d’espace. Petit à petit, le lieu a acquis, comme on dit, ses lettres de noblesse et une fidélisation du public. On n’en tire pas orgueil, c’est une réalité.
En plus, vous êtes ouverts toute l’année…
Alain Timár : Ce lieu est réellement, j’insiste sur le mot, un théâtre permanent avec une programmation régulière tout au long de l’année. Nous accueillons beaucoup de compagnies en résidence, en résidence rémunérée, bien entendu. Ce n’est pas simplement du « on vous passe les clés, on vous prête le lieu ». Notre action s’inscrit dans un véritable accompagnement des compagnies et un dialogue avec elles. Dans quelques cas, elles sont programmées pendant le festival.
Quel est votre public, à l’année comme durant le festival ?
Alain Timár : Un public fidèle, certes, mais qui s’accompagne depuis quelque temps par un renouvellement et rajeunissement significatifs. Ce qui donne au Théâtre des Halles une couleur multigénérationnelle.
Tous les ans vous faites un focus sur un pays, cette année c’est la Roumanie…
Alain Timár : Le focus sur la Roumanie s’’intègre dans une programmation plus générale. Corée du Sud, Chine, Israël, Afrique, Caraïbes, autant de focus depuis quelques années au Théâtre des Halles et nous aimons ces multiples regards sur le monde. Les programmations s’élaborent souvent en fonction de mes invitations en tant que metteur en scène et plasticien, à l’étranger. Les deux mises en scène en Roumanie : Rinocerii (Le Rhinocéros) et Occident Express on été à l’origine du focus sur la Roumanie.
C’est cette littérature roumaine que vous allez présenter dans une série de lectures, aux Halles et au cloître Benoit XII…
Alain Timár : On va essayer de partager nos découvertes avec le public… Une Roumanie, ce pays que l’on voit encore un peu de loin et que l’on connaît mal. La littérature roumaine d’aujourd’hui est extrêmement vivante et puissante. Ce sera l’occasion pour le Théâtre des Halles de faire découvrir et partager cette richesse…
Pourquoi avoir choisi de monter un spectacle de Ionesco et un autre de Mateï Visniec ?
Alain Timár : Il me semblait qu’il était opportun de mettre en avant ces deux écrivains d’origine roumaine que sont Ionesco et Visniec. Le premier appartient au début de la deuxième moitié du XXᵉ siècle et l’autre à la fin du XXᵉ siècle et début du XXIᵉ. Cela me semblait intéressant d’aller voir cette filiation-là, à travers le travail que je propose.
Ce choix de la Roumanie…
Alain Timár : Tout simplement parce que j’ai été invité, en tant que metteur en scène et plasticien, par le théâtre municipal Mateï Visniec, à Suceava. Par mon père, je suis d’origine hongroise. Cela me ramène donc un peu à la maison. On ne peut pas couper ses racines de manière tranchée. Donc c’est quelque chose qui compte. J’ai été invité là-bas plusieurs fois. Ça a marché, comme on dit maintenant : quelque chose fonctionnait.
J’ai accepté de diriger une mise en scène, puis une deuxième. Le Rhinocéros est en roumain, sous-titré en français. Je leur ai dit : « J’ai fait un pas vers vous, vers la Roumanie, vers la langue roumaine, maintenant vous allez faire un pas vers la France et en français. » Occident Express est joué en français par trois des comédiens de la troupe des dix qui jouent de Rinocerii. On a présenté la pièce de Visniec en Roumanie, dans divers endroits, avec un sous-titrage en roumain. C’était un rapport très intéressant. Cette Roumanie a été quand même séparée de l’Occident, de l’Europe pendant soixante-dix ans, avec ce mur qui empêchait toute ouverture. Faire venir ces Roumains ici, c’est un bol d’air incroyable. Ils sont vingt-deux, il a fallu loger tout ce monde…
Ce que j’aime beaucoup, c’est la diversité de la programmation, toujours pointue. Cette année, vous accueillez le nouveau spectacle de Fabio Marra, La couleur des souvenirs…
Alain Timár : Fabio voulait absolument venir. Et puis j’ai vu une partie de son travail. Il a une équipe exquise. Ils sont incroyables. Lui-même est un homme exquis. Il a une belle sensibilité. Catherine Arditi et Dominique Pinon sont des anges. Leur projet m’a beaucoup plu.
Et puis après, vous avez un pensionnaire, Éric Bouvron, qui, après Lawrence d’Arabie, revient avec Braconnier…
Alain Timár : Il voulait jouer en plein air. Il m’a parlé de son projet. Et donc pareil, j’ai vu un des bouts de son projet dans une salle de répétition à Paris. J’ai trouvé ça très beau. Par rapport aux problèmes écologiques qu’on a aujourd’hui, au massacre de ces animaux-là, cela me paraissait très intéressant. À chaque fois ce sont des paris. Et j’aime bien faire des paris. J’aime bien cette idée du « tout-monde » qui se retrouve ici, aux Halles.
Propos recueillis par Marie-Céline Nivière
Festival Off Avignon – Théâtre des Halles
Rue du Roi René 84000 Avignon