Les Crabes © Maya Mercer

À la sauce Hoffmann, Les Crabes de Dubillard sont délicieux

Le metteur en scène Luxembourgeois, Frank Hoffmann a trouvé le ton juste pour faire entendre toute la grandeur du théâtre de Roland Dubillard.

Les fameux Diablogues de Dubillard appartiennent à mon panthéon du théâtre de l’absurde. Mais le réduire à cette œuvre serait injuste. Son œuvre théâtrale est puissante, de La maison d’os au Jardin aux betteraves… En avance sur son époque, ses pièces ont fait grincer bien des dents et claquer quelques fauteuils d’orchestre. Tel un Beckett ou un Ionesco, ce dramaturge au style génial savait tordre le cou aux absurdités et incongruités de la vie. Le rire était son arme de guerre.

Les Crabes © © Maya Mercer
© Maya Mercer

Lors de sa création en 1971, la pièce avait secoué et divisé. Pour certains, ce n’était qu’un ramassis de bêtises et de vulgarités, pour les autres un chef-d’œuvre. La patine du temps a fait son ouvrage. En 2023, plus rien n’est choquant dans cette pièce. Au contraire, c’est comme si, en visionnaire, le poète avait vu par la lorgnette de son imaginaire les réalités de demain. Il préfigure les catastrophes écologiques, économiques, sociétales et morales qui secouent notre vielle planète.

D’amour et de crabes

Un jeune couple habite une maison au bord de la mer. Ils se nourrissent de leur amour et des crabes du coin. Or ces arthropodes sont en train de les dévorer de l’intérieur. L’argent venant à manquer, il leur faut louer la maison. Airbnb a donc été auguré en 1971 par Dubillard ! La maison a des fuites d’eau mais un hypothétique plombier doit venir les sauver. Beaux comme tous les amoureux, solaire et candide, ces gamins, qui ont grandi trop vite, ne sont pas vraiment armés pour la vie du dehors de leur amour. Samuel Mercer et Nèle Lavant sont épatants. Ils se sont emparés de leur personnage avec une agilité redoutable. Ces deux Naïves hirondelles vont se faire manger tout cru.

Arrivent les deux locataires. Leurs hôtes ne s’attendaient pas à ça et nous non plus ! Quelle entrée ! On oscille entre les Bidochon, ça, c’est pour le mari, et Cruella d’Enfer, ça, c’est pour la femme. Pour plagier le titre du film d’Ettore Scola, ces deux Affreux, sales et méchants, arrivent avec leurs discordes et leur haine de l’autre. Elles sont si grandes que même leur chien a fini par s’enfuir ! Ils sont venus dans cet havre de paix pour tout faire péter. Ils sont « les derniers représentants d’une humanité en perdition ».

Un duo de choc
Les Crabes © Maya Mercer
© Maya Mercer

Ces deux personnages à la lisière de la caricature sont impayables, deux clowns pathétiques qui nous arrachent de grands éclats de rire. Denis Lavant est effrayant de drôlerie. Il est à son aise dans ce registre de l’absurde et sait en faire entendre toutes les subtilités. Quant à Maria Machado, compagne de Dubillard maîtrisant parfaitement l’univers de l’auteur, elle est irrésistible en vieille dame indigne. Tous les deux nous offrent un grand moment de comédie.

Cette comédie cauchemardesque possède une atmosphère de Fin de partie. Dans cette étrange et remarquable scénographie, Frank Hoffman nous embarque dans cet univers étrange où les mots et les pensées semblent tout le temps dérailler. Pourtant, tout est limpide dans le texte de Dubillard, ce qu’ici, on reçoit admirablement bien. On en pince pour ces Crabes !

Marie-Céline Nivière

Les Crabes de Roland Dubillard.
La Scala Paris
13 boulevard de Strasbourg
75010 Paris.
Du 24 mars au 26 mai 2024.
Durée 1h15.

Festival Off AvignonThéâtre du Chêne noir
8 bis rue Sainte Catherine 84000 Avignon.
Du 7 au 29 juillet 2023 à 19h15, relâche les 10, 11, 12, 17, 18, 19, 24, 25, 26 juillet.

Mise en scène de Frank Hoffmann
Avec Denis Lavant, Maria Machado, Samuel Mercer et Nèle Lavant.
Scénographie de Christoph Rasche.
Vidéo, photo et costumes de Maya Mercer.
Lumières de Daniel Sestak
Musique de René Nuss.
Dramaturgie de Charlotte Escamez et Florian Hirsch.
Ingénieur son Guillaume Tiger.
Montage de Jean Ridereau.
Assistante mise en scène Eugénie Divry.

Bande annonce Les crabes © Le Project Scala

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