Laurent Rochut © Agathe Moore

Laurent Rochut, accompagnateur bienveillant de la création

Rencontre avec Laurent Rochut, directeur de la Factory, fabrique permanente d'art vivant à Avignon.

Laurent Rochut © Agathe Moore

Depuis 2015, il dirige à Avignon, la Factory fabrique permanente d’art vivant. Avec ses trois salles, ses plus de trente propositions artistiques sur la période estivale, ce lieu permet de soutenir les écritures contemporaines et de montrer la diversité du théâtre aujourd’hui. Rencontre avec un amoureux passionné de l’art dramatique qui rêve de faire d’Avignon, la cité du théâtre à l’année.

© Agathe Moore

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous installer à Avignon, à ouvrir une salle, puis deux, puis trois, à vous procurer un moyen de création assez fort…

Laurent Rochut : Lorsque, je suis arrivé à Avignon, j’avais d’abord une autre activité. J’étais patron d’un groupe de presse. Mes équipes étaient restées à Paris. On travaillait à distance ! En m’y installant, j’avais quand même l’idée de mettre la main sur un lieu. Je voulais faire un virage dans ma vie professionnelle et me consacrer à l’accueil et à la création théâtrale. La meilleure façon de trouver un lieu était d’être sur place. C’est pour ça que je suis venu vivre ici, dans cette cité de l’art vivant, avec famille et bagages. J’ai prospecté dans toutes les agences immobilières, en leur demandant qu’ils me contactent dès qu’un grand espace, où j’aurais pu bâtir un lieu, se libère, qu’un théâtre soit mis en vente.

Et c’est ainsi que vous avez repris le théâtre de L’Oulle…
Affiche 2023 La Factory
Affiche 2023 La Factory

Laurent Rochut : C’était un bel outil de travail, un lieu déjà un peu identifié. Cela m’a permis de me poser, de voir comment cela se passait, de démarrer tout de suite le soutien à la création, de comprendre de l’intérieur les enjeux d’accompagnement et les modèles économiques différents des compagnies. J’aurais pu me concentrer uniquement sur l’accueil de spectacles prestigieux, de grands formats avec beaucoup de monde au plateau. Mais je me suis dit que si je voulais être dans une logique d’accompagnement à la création, il fallait commencer l’histoire le plus tôt possible, au moment où les compagnies naissent.
Avant d’être dans la presse, dans une autre vie, j’étais déjà écrivain, metteur en scène et instituteur ! C’est pour cela que j’aime cette idée d’accompagner une forme qui est en train de se structurer, d’être un peu son interlocuteur dans la maïeutique du questionnement et des doutes. J’aime dénicher. C’est là que j’allais être plus utile. J’allais avoir les outils pour construire une progression entre une jeune compagnie qui démarre, tout feu tout flamme, et qui finit par avoir des CDN, des salles nationales, des grands théâtres municipaux. Il fallait que je construise des marches qui me permettraient d’accompagner des compagnies à tous ces moments-là de leur histoire.

Pourquoi Avignon, plus qu’ailleurs ?

Laurent Rochut : J’ai un cerveau d’artiste mais également un cerveau économique. Quand on fait du cinéma en Amérique, on va à Hollywood. J’ai toujours vu Avignon comme une sorte d’Hollywood du théâtre. Il y a une concordance de temps, d’énergie, de moyen, de ressource qui fait que c’est la Capitale du théâtre. C’est là où il faut être pour faire de l’art dramatique, du spectacle vivant.

Et vous en connaissiez les rouages ? 

Laurent Rochut : J’avais déjà fait Avignon comme comédien et comme metteur en scène avec ma troupe. Quand j’ai réfléchi à l’idée de prendre un lieu, en tout cas de construire un dispositif d’aide à la création, j’ai donc pensé Avignon ! Car c’est incontournable. J’avais l’envie de me frotter à tout ce que ce territoire peut avoir de puissant, de potentiel et peut-être aussi d’inexploité. J’ai vu un territoire en friche, qui ne tirait pas la quintessence de ses possibilités.

C’est pour cela que vous fonctionnez toute l’année ?
Photo file d'attente Théatre de l'Oulle © La Factory
Photo file d’attente Théatre de l’Oulle © La Factory

Laurent Rochut : Je suis arrivé à Avignon avec cette envie de faire un lieu qui soutiendrait la création à l’année. On sait très bien que durant l’année, il n’y a pas de public pour cinquante théâtres. On est dix-douze à ouvrir régulièrement et on se bagarre gentiment les spectateurs. Ce n’est pas ça l’enjeu d’avoir un théâtre à Avignon à l’année. Cette ville incroyable possède 90 salles qui sont des lieux permanents, au sens de la commission de sécurité. C’est à dire qui ne peuvent pas être autre chose qu’un théâtre. Ce qui est beaucoup sur les 140 lieux qui accueillent des spectacles pendant le festival. Ces lieux sont fermés l’hiver pour la plupart. Or il faut se dire que toutes ces salles ont été financés par l’argent public, essentiellement.
Quand certaines compagnies viennent faire le festival, elles se payent un créneau, en ayant dans leur budget une subvention de la ville des fois, au minimum souvent, peut-être aussi de leur département, de leur région, de leur DRAC. Autant dire que, si les théâtres d’Avignon peuvent être financés l’été en louant des créneaux, c’est qu’il y a une manne d’argent public qui « ruisselle » sur Avignon. La question est comment ce territoire s’y prend pour ne pas rendre ça ? Pourquoi n’arrivons-nous pas à mettre en place une machine, une filière, un écosystème qui ferait que toute l’année ces lieux qui ont été financés puissent servir à la création ?

D’où l’idée, avec Avignon Festival & Compagnie, dont vous êtes un des vices-présidents, d’ouvrir aux compagnies les portes de la cité des Papes toute l’année… 

Laurent Rochut : L’argent public empêcherait d’ouvrir un théâtre à perte. Parce que c’est ainsi. Depuis le début, 2015, j’ai ouvert mon lieu à l’année et je perds des sous tous les ans ! Et même si maintenant je suis un peu conventionné et que j’ai de modestes subventions, cela n’est pas suffisant. Je suis obligé de remettre de l’argent du Festival dans le fonctionnement de l’année. Ce n’est pas héroïque de ma part. Je le fais par militantisme et par passion. Je le fais parce que si je suis venu là, c’est pour accompagner la création… 

Que proposez-vous ?

Laurent Rochut : La proposition que l’on fait aux institutions, aux territoires, est simple : aider les lieux à accueillir des résidences, en les indemnisant sur leur charges fixes ; aider les compagnies en leur payant leurs voyages et leurs hébergements. Il faut trouver une grosse caisse commune, centrale, qui gérerait ça. Les lieux, qui obtiendraient une aide pour accueillir des compagnies à l’année, seraient obligés de réinvestir ces aides dans le festival l’été, en baissant le prix des créneaux où en supprimant un créneau. Ce qui permettrait d’avoir plus de temps pour les montages et de rendre ce festival plus vivable.
Le mécanisme est pensé et écrit. Ce qui bloque aujourd’hui, c’est que la manne de l’argent public sur le territoire d’Avignon est figée dans une habitude de subvention qui sont fossilisées par la mauvaise habitude de la France de transformer l’actif en acquis, le révolutionnaire en notable. Il faudrait rebattre les cartes. On va aussi chercher d’autres moyens. Comme le modèle des fonds de soutien à la production cinématographique par les Régions. Cela va transformer et faire travailler la ville. On créerait une véritable filière, avec les métiers du décor, du costume, de la vidéo, de la technique. Et puis, on le sait, de nombreuses compagnies n’ont pas de lieu pour travailler ! Le besoin et la demande sont là. 

Dès votre arrivée en 2015, vous aviez déjà l’envie de faire une sorte de friche ouverte à l’année… Comme vous êtes-vous organisé ? 

Laurent Rochut : J’ai fait des appels à projets. Qui veut venir à l’Oulle dans l’année faire des résidences ? J’ai eu des pelletées de demandes. Ce qui est le même cas pour L’Artéphile, Les Carmes, Le Transversale… On est quelques-uns à le faire, chacun avec ses petits moyens dans son coin. C’est un gisement qui est sous nos pieds, il faudrait qu’on l’exploite, qu’on le fasse vivre. Car c’est l’ADN de notre ville. 

Pour le Festival, vous devez recevoir énormément de demandes. Comment élaborez vous votre sélection ?
Photo file d'attente Salle Tomasi © La Factory
Photo file d’attente Salle Tomasi © La Factory

Laurent Rochut : Je vois toutes les pièces ou presque. Si je programme une pièce que je n’ai pas vue, il y a plusieurs raisons. La première, c’est parce que c’est une création, que je connais bien le travail du metteur en scène et je lui fais confiance. Je fais un pari avec lui. Cela peut m’arriver, mais c’est rare, d’avoir un coup de cœur à la lecture d’un texte, comme pour cette année, avec Hépatik Girl. Je passe mon temps sur les routes pour aller soit dans les CDN, soit dans les théâtres municipaux, les sorties de résidences, dont certaines sont chez moi.
Il y a aussi les captations, car il est impossible de tout voir en vrai. Le choix évidemment se fait sur l’artistique. Il faut que cela colle à notre ADN. Une programmation contemporaine, où la cité se parle à elle-même, un théâtre plus sociétal que de l’ordre de l’intime. Ensuite, il faut que la compagnie ait les nerfs solides, qu’elle soit bien organisée, bien défendue en diffusion. Il m’arrive souvent de dissuader des compagnies de faire le OFF, lorsque je sens qu’elles vont faire « tapis ». Et deuxièmement, il y a les contingences techniques qui font que c’est faisable ou pas. Il faut tout prendre en compte. 

Il y a également, une diversité dans votre proposition artistique, du théâtre, de la danse…

Laurent Rochut : C’est d’autant plus vrai à L’Oulle qui est un des plus grands plateaux du Off. Il possède 200 places et un plateau de 11 par 7. La salle te guide aussi un peu sur ta programmation. Le gros cœur de ma programmation est le texte, plutôt contemporain. Mais ce beau plateau permet également la pluridisciplinarité. C’est pour ça qu’on y propose de la danse, un peu de cirque ou du théâtre de geste. Ce que j’accueille beaucoup moins dans les autres salles, qui s’y prêtes moins. Je programme à L’Oulle, un peu comme une scène nationale. Et puis, il faut aussi penser au public international. Cet été à L’Oulle sur 4 spectacles sur 9, ils n’ont pas besoin de traduction, car il n’y a pas de problématique de langue. 

Et pourquoi deux autres salles ? 

Laurent Rochut : Au début, je me suis dit que la deuxième, la salle Tomasi, allait me permettre d’accueillir l’émergence. J’ai compris, dans le modèle économique d’Avignon, que 110 places c’est déjà trop cher et difficile à absorber pour une compagnie. C’est alors que je me suis dit qu’il nous fallait une troisième salle de 49 places, la Chapelle des Antonins. Cela s’est fait à force de pratiquer l’accueil à l’année, de voir comment les compagnies vivaient un festival, à quel endroit elles avaient la capacité d’y venir où pas. Voilà, 49, 110 et 200 places, aujourd’hui, c’est une gradation qui me permet vraiment d’être présent à tous les moments de l’histoire d’une compagnie. 

Cela fait huit ans, maintenant que vous est à Avignon, quels sont vos grands souvenirs ?
Affiche La Factory 2022
Affiche La Factory 2022

Laurent Rochut : Ce que je préfère, c’est les audaces d’écriture au plateau. Je suis un intellectuel, d’abord, un écrivain avant d’être homme de théâtre. J’ai eu la chance de côtoyer Jean-Edern Hallier pendant trois ans, de faire partie de l’équipe de L’idiot International, qui a remué la presse de 1989 à 1991. J’aime l’artiste qui va là où l’on ne l’attend pas, qui suffoque, qui met un uppercut. C’est vrai qu’on a eu des spectacles qui ont laissé le public sur le cul, d’autres qui ont divisé. 
Dans mes grands souvenirs, je pense à Garden Party, que j’ai accueillie deux ans de suite, ce que je ne fais quasiment jamais. Même si pour mes régisseurs s’étaient un cauchemar, tant c’était le bordel après. Alexandre Pavlata est un maître clown et un metteur en scène incroyable. Par la drôlerie en allant jusqu’à un point presque pasolinien, il a une façon bien à lui de provoquer l’époque.
Autre, très beau souvenir, c’est d’avoir accueilli Dave St-Pierre, un type incroyable qui danse avec un quart de poumon. Il a eu la mucoviscidose, s’est fait opérer plusieurs fois, et il arrive comme ça, avec son personnage en perruque, à poil dans une bâche. Il est dans la provocation un peu « guest » très année 80, très vindicatif, et puis tout à coup, il est dans sa fragilité, ce dénuement du corps, de ce quart de poumon sur lequel il arrive à danser. Bien évidemment, j’en ai plein d’autres ! 

Quel est votre public ? J’imagine que vous avez des fidèles ?

Laurent Rochut : Il y a des gens qui me disent qu’ils viennent d’abord voir ce qu’il y a chez nous. Il y a d’autres scène d’Avignon, à qui cela arrive ! Je ne suis pas le seul. Heureusement, il y a plusieurs styles de public ! Ce que j’ai constaté entre le moment où j’ai pris le théâtre de L’Oulle, qui avait déjà ses habitudes avec un public un peu sénior, c’est qu’aujourd’hui, en m’empoignant avec des écritures et des problématiques contemporaines, des sujets de sociétés actuels, le public jeune vient massivement. Ce que je ne voyais pas les premières années. L’enjeux d’Avignon c’est aussi de montrer que l’on peut aller chercher de nouveaux publics ! De voir venir ces spectateurs, qui ont entre 18 et 35 ans, c’est un véritable plaisir et un grand souffle d’espoir. 

Propos recueillis par Marie-Céline Nivière

Festival Off AvignonLa Factory
84 Avignon.

1 Comment

  1. Laurent Rochu est une belle personne qui aime ce qu il fait .
    Bravo a lui .
    Pendant le COVID invité par les médias ,Laurent a su bien parler et défendre une cause noble …..
    J ai joué a ses côtés au festival d Avignon . J en suis fier .
    Bravo a lui …..avant enseignant prônant la bonne parole . Il avait en scène avec sa classe une excellente pièce .
    Je ne suis pas surpris qu il est finit dans ce milieu .

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