Au Lucernaire, tout l’été, la flamboyante et gouailleuse comédienne se glisse à nouveau dans la peau de la Goulue, égérie de Toulouse-Lautrec, tout en n’en réinvitant les contours. Seule en scène, Delphine Grandsart fait des étincelles et insuffle la vie à une époque révolue dont les résonnances dans l’actualité sont d’une rare acuité.
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Quel est votre premier souvenir d’art vivant ?
Une déambulation de marionnettes géantes lors d’une ducasse dans le Pas-de-Calais, région dans laquelle j’ai grandi. Je fus fascinée par l’immensité de ces personnages qui semblaient plus vivants que les vivants qui m’entouraient.
Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ?
Je suis arrivée à ce métier par hasard. A cause ou grâce à un homme qui m’a poussée à m’inscrire dans un conservatoire à une époque où j’étais en perdition. Cette rencontre avec le théâtre m’a véritablement « sauvé la vie ».
Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être comédienne et metteuse en scène ?
Je n’ai rien choisi puisque comme je l’ai dit précédemment, je suis tombée par hasard dans ce métier. Et puis, j’aurais aimé avoir toutes les casquettes pour monter un spectacle. Je trouve que tous les corps de métier sont non seulement importants mais tous passionnants. Le spectacle vivant est un vrai travail d’équipe et rien ne peut exister sans cela. Je voue une admiration sans borne pour les techniciens, tous ceux qui savent travailler de leur main.
Quel est le premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ?
C’était une adaptation des Troyennes que nous avons joué devant une église à Versailles lors du spectacle de fin d’année du conservatoire. Je garde un souvenir intense et magique de cette représentation en extérieur. J’aime plus que tout jouer dans la rue même si je le fais peu aujourd’hui. Le rapport au public est absolument incroyable. Peut-être parce que j’étais « une traîneuse des rues » dans mon enfance ! Je me sens chez moi dans la rue.
Quel est votre plus grand coup de cœur scénique ?
J’aime plus que tout le travail d’Ostermeier quand il s’empare de Shakespeare. J’aurais rêvé jouer le rôle de Richard III ! J’ai hâte de voir ce qu’il va faire de l’Opéra de Quat’sous.
Quelles sont vos plus belles rencontres ?
Dans ce métier, ma plus belle rencontre est celle avec Robert Abirached. J’ai repris des études théâtrales sur le tard et j’ai eu l’immense chance de l’avoir pour professeur en politique culturelle, puis comme directeur de maîtrise. Ce sont les cours que j’ai préférés à l’époque. Moi qui n’avais pas beaucoup de culture artistique, j’ai énormément appris à ses côtés. Cet homme était brillant, humain et pas snob. Nous avions des échanges incroyables.
En quoi votre métier est-il essentiel à votre équilibre ?
Quand je suis sur un projet, ça me permet de canaliser la colère que je peux avoir souvent liée à la vie en société qui n’est pas souvent juste. L’injustice me rend vraiment dingue.
Qu’est-ce qui vous inspire ?
La vraie vie. Toujours. J’ai besoin d’être au contact de l’humain, de la nature et du silence si difficile à trouver.
De quel ordre est votre rapport à la scène ?
Physique, tripal même. Quand je suis sur scène j’oublie vraiment tout et surtout je m’oublie. Ça me repose !
À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ?
Ça part du ventre. Je ne suis pas une comédienne intellectuelle. Je travaille beaucoup mon personnage en amont bien sûr. Mais une fois sur le plateau c’est mon corps qui parle, jamais ma tête.
Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ?
Ostermeier !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! Si vous le connaissez, invitez-le à venir me voir !
À quel projet fou aimeriez-vous participer ?
Je suis en pleine réflexion pour créer un projet qui mettra en lumière les visiteurs de prison. Et mon rêve serait de le produire vraiment devant et dans une prison. Mais l’administration pénitentiaire ne verrait sans doute pas ça d’un bon œil !
Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ?
La mer. Oui je trouve que la mer est une œuvre avec ses tempêtes, ses accalmies. Elle est la plus belle œuvre vivante et symbolise parfaitement la vie faite de hauts et de bas. Elle est aussi toujours en mouvement. Elle est la vie.
Propos recueillis d’Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Louise Weber dite La Goulue de Delphine Gustau
Le Lucernaire – Salle Le Paradis
53 rue Notre-Dame-des-Champs
75006 Paris
jusqu’au 20 août 2023
Durée 1h environ
Mise en scène Delphine Grandsart et Delphine Gustau
Avec Delphine Grandsart
Musique de Matthieu Michard
Lumière de Jacques Rouveyrollis assisté de Jessica Duclos
Costumes et décors de Delphine Grandsart