Une sorte de brume flotte dans les airs de la salle Molière de l’Opéra Orchestre national Montpellier Occitanie, un nuage léger qui floute les contours et donne à l’atmosphère une dimension ouatée. Graduellement, le noir se fait, révélant au parterre une constellation de portables encore allumés. Sur scène, des cintres, tombe une lumière diffuse, laissant apparaître un amas de corps imbriqués, une bête à sept têtes. Vêtus d’académiques en dentelle noirs imaginés par Maria Grazia Chiuri pour Christian Dior Couture, les yeux charbonneux, les danseuses et danseurs de la compagnie L-E-V – mot qui signifie le cœur en hébreu, mais aussi la psyché – ont l’air de bien étranges créatures. Imperceptiblement, ils ondulent du bassin, tendent un bras ici, une jambe là. Le style sensuel, précis, singulier de Sharon Eyal est reconnaissable entre mille. Suivant le tempo des battements d’un cœur légèrement arythmique, il hypnotise, captive et envoûte.
Danse sépulcrale
Tels des insectes, des êtres de la nuit, Darren Devaney, Guido Dutilh, Juan Gil, Alice Godfrey, Johnny McMillan, Keren Lurie Pardes et Nitzan Ressler déploient une gestuelle savamment saccadée, traversent le plateau de long en large, donnent chair à des émotions brutes, des sensations à fleur de peau. Portés par la musique éléctro de Koreless, un compositeur britannique nouvelle génération dont c’est la première collaboration avec la chorégraphe israélienne, et certainement pas la dernière, ils se laissent envahir par les beats, les flows, en suivent chaque mesure jusqu’à une transe parfaitement maîtrisée. Corps dédoublés, multiples, silhouettes tordues, muscles en tension permanente, ils évoluent en essaim sur la pointe des pieds, claudiquent parfois et donnent vie à des tableaux rares, puissants, hypnotiques. Virtuoses, il faut l’être pour soutenir la grammaire de l’artiste formée à la Bathseva, les sept interprètes tissent un récit arachnéen où s’exacerbent les affects, les pulsions intimes, les désirs charnels, presque vampiriques
La signature Eyal
Avec Into The Hairy (À l’intérieur de la chevelure), Sharon Eyal confirme sa marque de fabrique, son écriture tant épurée qu’ultra sophistiquée. Tout est pensé, réfléchi pour que la nature des sentiments, qu’elle souhaite porter au plateau, soit palpable jusque dans la chair, dans la peau, l’âme du spectateur. Et comme toujours la magie opère. L’impression de « déjà-vu » est fugace, tant avec d’imperceptibles variations, elle offre une réinvention de son propre style profondément instinctif et intensément réflectif. Secondée par son complice de toujours Gai Behar, elle signe une œuvre troublante autant que vertigineuse, un uppercut chorégraphique subtil autant que percutant !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Montpellier
Into the Hairy de L–E–V – Sharon Eyal | Gai Behar
La Grande Halle de la Villette
211 avenue Jean Jaurès
75019 Paris.
Du 12 au 14 avril 2024.
durée 50 min.
Création le 22 juin 2023 au Festival de Montpellier Danse
du 5 au 7 octobre2023 au Théâtre des Louvrais, Cergy Pontoise
Tournée
Le 17 octobre 2023 au Stadsschouwburg, Bruges, Belgique
du 20 au 22 octobre 2023 au De Singel, Anvers, Belgique
du 26 au 28 octobre 2023 au Dampfzentrale, Bern, Suisse
les 11 et 12 novembre 2023 à Wiesbaden, Allemagne
Le 24 novembre 2023 au Festival de danse de Cannes
Du 12 au 14 avril 2024 à La Villette
Chorégraphie de Sharon Eyal
Co-créateur – Gai Behar
Musique originale de Koreless
Costumes de Maria Grazia Chiuri – Christian Dior Couture
Conception de l’éclairage d’Alon Cohen
Conception des ongles et des bijoux – @prettybitchclawss
avec Darren Devaney, Guido Dutilh, Juan Gil, Alice Godfrey, Johnny McMillan, Keren Lurie Pardes, Nitzan Ressler
Directeur des répétitions – Davide Di Pretoro