Ruth Childs © Mehdi Benkler

Ruth Childs, la physicalité du geste 

Dans le cadre du Festival Tours d'Horizons du CCN de Tours, Ruth Childs présente Fantasia, une création pétillante, colorée et vibrante.

Ruth Childs © Mehdi Benkler

Révélation de la sélection suisse en Avignon en 2022, la danseuse et chorégraphe londonienne, installée à Genève depuis 2003, présente le 12 juin 2023, dans le cadre du Festival Tours d’Horizons du CCN de Tours, Fantasia. Lumineuse, virtuose, elle habite le plateau avec une intensité sidérante. Son écriture ciselée et viscérale, nourrie de ses expériences nombreuses auprès d’artistes comme La Ribot, Gilles Jobin, Massimo Furlan ou Marco Berrettini, fait d’elle une étoile montante de la danse contemporaine. 

© Mehdi Benkler

Quel est votre premier souvenir d’art vivant ? 
Quand j’avais cinq ou six ans, je me souviens avoir assisté au New York City Ballet à une représentation de Sleeping Beauty. C’était incroyable. J’ai grandi dans le Vermont aux Etats-Unis, à la campagne, aller à New York, voir un ballet, c’était toute une excursion et un privilège. Il fallait plus de 5 heures en voiture pour faire le trajet. J’étais émerveillée par la musique live et les costumes… par ce moment éphémère qu’est un spectacle. 
Cependant la première fois ou je me suis sentie vraiment déplacer par une œuvre, c’était lors d’une représentation de Cendrillon de Maguy Marin par le ballet de l’Opéra de Lyon. J’étais jeune adolescente, je n’avais jamais vu une chose pareille. Ça m’a donné envie de venir vivre en Europe.

Fantasia de Ruth Childs © Marine Magnin
Fantasia de Ruth Childs © Marine Magnin

Quel a été le déclencheur qui vous a donné envie d’embrasser une carrière dans le secteur de l’art vivant ? 
Nous écoutions beaucoup de musique à la maison, mon père est mélomane. Je dansais tout le temps. J’organisais des spectacles au salon, mes frères et ma sœur étaient mes cobayes. Bref, la musique, la danse et le spectacle étaient déjà là en moi, très tôt, comme une évidence.

Qu’est ce qui a fait que vous avez choisi d’être danseuse et chorégraphe ? 
Mon envie de danser est arrivée tellement tôt, que je n’arrive même pas à dire que c’était un choix, c’était juste là. Et même si j’ai souffert pendant mes différentes formations de danseuse, l’amour du mouvement est resté bien ancrée en moi. À un moment donné, en effet, j’ai choisi de me pencher plus sur la chorégraphie et la création – après environ dix ans de carrière comme danseuse/interprète. Dans la danse contemporaine très souvent les interprètes collaborent avec les chorégraphes sur l’écriture du mouvement et même parfois plus largement sur les concepts de l’œuvre et la dramaturgie. Les rôles sont poreux. J’avais donc une certaine habitude de la chorégraphie et du processus créatif, et en même temps je me suis retrouvée complètement en dehors de ma zone de confort. Le fait de me confronter seule à mon corps et mes idées, un passage nécessaire pour élaborer des outils, nourrir des pratiques personnelles, a été parfois très difficile pour moi. 
Il y a forcément aussi la figure de ma tante, la célèbre chorégraphe Lucinda Childs, qui sert de soutien, d’exemple, et qui m’a toujours donné du courage. Mais c’est aussi un peu intimidant. J’ai donc attendu pour me sentir vraiment prête avant de me lancer dans la chorégraphie.

Quel est Lle premier spectacle auquel vous avez participé et quel souvenir en retenez-vous ? 

En sortant de la formation préprofessionnelle Ballet Junior à Genève en 2005, j’ai été engagée par le chorégraphe lausannois Jean-Marc Heim. C’était une autre époque nous étions engagé.es pour 6 mois de recherche et création. Aujourd’hui les périodes de créations sont malheureusement beaucoup plus courtes. Ce que je retiens de cette expérience ce n’est pas tellement le résultat ni la relation avec le chorégraphe… mais le groupe, et les magnifiques artistes que j’ai rencontrés. L’esprit d’ensemble, d’amusement, de solidarité, de prendre des risques et de chercher ensemble. Il y avait entre autres dans cette création Yasmine Hugonnet, Lara Barsacq, Gaël Santisteva, Joclécio Azvedo…

Fantasia de Ruth Childs © Marine Magnin
Fantasia de Ruth Childs © Marine Magnin

Votre plus grand coup de cœur scénique ? 
Oh, difficile de choisir. Dans un interview pour Ma Culture j’avais déjà cité quelques coups de cœur : Récital des Postures de Yasmine Hugonnet, iFeel2 de Marco Berrettini, Llámame Mariachi de La Ribot, Supernatural de Simone Aughterlony, Antonija Livingstone et Hahn Rowe ou encore Dumy Moyi de François Chaignaud….
Dernièrement j’ai vu le Köln Concert de Trajal Harrell, j’étais très touchée par ce que le groupe porte ensemble la pièce mais aussi individuellement. L’émotion et la musique sont presque palpables, dans l’air, dans leurs corps, dans les nôtres… et je n’ai jamais vu des saluts si beaux, si classes. Wow, merci Trajal !

Quelles sont vos plus belles rencontres ? 

J’ai rencontré Stéphane Vecchione (musicien/performeur) en 2013 lors d’une création avec Massimo Furlan. Depuis nous avons collaboré sur de multiples projets dont un duo musicale nommé Scarlett’s Fall (2014) et une création scénique the Goldfish & the Inner Tube (2018). 
Stéphane a également fait des créations sonores pour Fantasia (2019) et Blast ! (2022) Il propose chaque fois des dispositifs sonores ingénieux de sorte qu’il y a un véritable dialogue entre matière chorégraphique et sonore. Nous poursuivons notre travail ensemble pour la prochaine création de la compagnie Funny Notes (2024).
Je souhaite aussi citer une rencontre récente avec la sculptrice Cécile Bouffard. Nous collaborons sur un projet qui s’appelle Delicate People (2021). Je performe avec ses sculptures, comme des partenaires de jeu. La complicité avec les sculptures de Cécile est telle que parfois j’ai l’impression que ce sont iels? qui me chorégraphient en direct.
Et aussi bien sûr comme danseuse-interprète mes rencontres avec La Ribot, Yasmine Hugonnet et Marco Berrettini ont été super précieux.

En quoi votre métier est-il essentiel à votre équilibre ? 
Ha, je ne suis pas sûre d’être une spécialiste de l’équilibre. J’y travaille. Je me lance pleinement dans chaque aventure artistique parfois en mettant de côté les autres aspects de ma vie qui sont aussi essentiels. Quand tout s’est arrêté pendant la pandémie je me suis rendu compte de cela. 

Qu’est-ce qui vous inspire ? 
Mes curiosités et questionnements artistiques ont de multiples sources. Je travaille de manière intuitive sur des choses qui me happent, qui me touchent ou même qui me dérangent. 
Par exemple pour Blast ! ma dernière pièce, j’avais envie d’étudier le corps violent, souffrant, colérique… les sources d’inspirations venaient du cinéma, de peintures, contes, littératures, ou encore de la poésie sonore.

Blast !  de Ruth Childs © Marie Magnin
Blast ! de Ruth Childs © Marie Magnin

De quel ordre est votre rapport à la scène ? 
Je crois que ce n’est ni sacré ni ordinaire. C’est un travail sur le temps présent, l’hyper-présence. 

À quel endroit de votre chair, de votre corps situez-vous votre désir de faire votre métier ? 

Dans mes organes – le cœur, le ventre, les tripes… Et puis ça circule vers les extrémités les pieds… les mains… les yeux. 

Avec quels autres artistes aimeriez-vous travailler ? 

En ce moment, Meredith Monk. 

À quel projet fou aimeriez-vous participer ? 
J’aimerais surtout qu’on se parle plus entre artiste. J’admire et je suis avecplusieurs artistes (qui sont à peu près de la même génération que moi, Give or take a few years)… Katerina Andreou, Lenio Kaklea, Maud Blandel, Madeleine Fournier, Marie-Caroline Hominal, Aina Alegre, Matthieu Barbin, Sonja Jokiniemi, Bryan Campbell, Erwan Ha Kwoon Larcher, Kayige Kageme, etc.
Parfois on a la chance de travailler ensemble, ou de se croiser dans des festivals, ou alors virtuellement sur les réseaux sociaux. Mais c’est rare qu’on ait du vrai temps pour échanger tranquillement. Alors on organise une rencontre, une fête !? 

Si votre vie était une œuvre, quelle serait-elle ? 
Par exemple Untitled (1963), un dessin d’Henri Michaux…

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

Fantasia de Ruth Childs 
Festival Tours d’Horizons
CCN de Tours

Le 12 juin 2023 à 20h
Durée 50 min

chorégraphie et interprétation de Ruth Childs 
lumière et direction technique de Joana Oliveira 
recherche et création sonore de Stéphane Vecchione 
régie lumière d’Alexy Carruba 
regard extérieur chorégraphique de Maud Blandel 
regard extérieur de Nadia Lauro 
costumes de Cécile Delanoë 

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