En ce début de deuxième semaine, le festival June Events à l’Atelier de Paris-CDCN fait la part belle à deux femmes chorégraphes aux identités chorégraphiques contrastées. La Luxembourgeoise Simone Mousset trouble avec une fable surréaliste tandis que la Canadienne Rhodnie Désir bouleverse avec BOW’T TRAIL Rétrospek, présenté pour la première fois en Europe.

BOW’T TRAIL par Rhodnie Désir © Kevin Calixte

Croiser les doigts pour que la panne technique du métro ne s’éternise pas. Chercher la navette estampillée “Cartoucherie de Vincennes“. Regarder les minutes qui défilent. Courir récupérer son billet. S’installer sur les bancs rouges de la salle de l’Atelier de Paris. Fermer les yeux et se réveiller ailleurs. C’est l’effet June Events. Une escapade en territoires artistiques qui entraine très loin. 

Au pays des faunes

La première image de Empire of a Faun Imaginary est saisissante. Quatre silhouettes en maillots pastel et collants poilus, figées comme des statues, au milieu d’un paysage lunaire habillé de quelques rochers en mousse couleur pastel. Ces quatre êtres étranges, aux regards soulignés par le maquillage, s’agitent et déploient une gestuelle sautillante très animale. Le tout ponctué de petits cris qui font d’abord sourire. Alanguis au soleil, à l’affût derrière les monticules, se frottant les uns aux autres, ces lointains cousins du faune de Nijinski, semblent toutefois attendre quelque chose.

Progressivement, le tableau en apparence idyllique se couvre d’un voile d’angoisse. Les cris se font plus gutturaux, plus déchirants ; les postures plus apeurées. Une inquiétude plane sur ce quatuor. L’orage éclate et avec lui, la sensation de malaise grandit. Les pointes d’humour se muent en manifestations émotives disproportionnées. Son univers onirique autant visuel que sonore fascine et questionne. Où veut-elle nous entraîner ? Dans cet univers étrange où même les blocs de pierre peuvent exprimer des angoisses existentielles, les revirements de situation sont légion. Une créature aux allures de mammouth débarque trimballant sa démarche pesante et engloutit les faunes inanimés, puis les libère comme régénérés. 

Avec cette pièce qui mêle danses, chants et arts visuels, la chorégraphe luxembourgeoise Simone Mousset, qui commence à acquérir une notoriété en France, sait très bien osciller entre plénitude et incertitude. Née d’une réflexion autour de la création post pandémie, cette pièce, pas exempte de quelques redondances, fascine tout autant qu’elle questionne.

« Transcender les espaces »

Récompensée par le Grand Prix de la Danse de Montréal en 2020, et présentée pour la première fois en Europe, BOW’T TRAIL Rétrospek saisit par sa force évocatrice. On sait gré à Anne Sauvage, directrice de l’Atelier de Paris de permettre la rencontre avec Rhodnie Désir, chorégraphe-performeuse canadienne.

Cette pièce chorégraphique documentaire est l’aboutissement du parcours de mémoire et d’histoire, le BOW‘T TRAIL, initié en 2013 autour de la traite négrière dans les Amériques. De ses séjours dans sept territoires, de la Martinique à Haïti (sa terre d’origine) en passant par Le Brésil, le Canada, la Nouvelle-Orléans, le Mexique, Rhodnie Désir a fait de son corps et de sa voix les réceptacles et les médiateurs de tous ces témoignages recueillis.

Encadrée par deux musiciens, un batteur et un beatmaker, Jahsun et Engone Endong, elle apparaît de dos ceinte d’une large jupe. Du revers de la main, elle en lisse les pans avec application. Puis soudain les bras s’envolent, les mains tournent sur elles-mêmes. Tour à tour boxeuse en jupon à cerceaux telle une cage dont elle cherche à s’extraire, guerrière ou griot, accompagnée de trois boites-tables, qu’elle manipule avec inventivité pour faire surgir les images, elle se démultiplie en une mosaïque de personnages. Derrière elle, des projections vidéo immersives créées par Manuel Chantre, se superposent comme une seconde peau. Elles entrent en résonance avec les mouvements de manière poétique.

Quand elle quitte la scène empruntant l’un des escaliers du parterre, elle continue de chanter. Sa voix se perd dans les coulisses. Quand la lumière se rallume, Rhodnie Désir est assise en tailleur face au public, en tenue de ville. Pas de salut. Ce bord de plateau fait partie intégrante de ce spectacle qu’elle voit surtout comme un legs, un partage. Le moment d’échange éclaire la démarche. « La danse me permet de transcender les espaces », répond-elle à une spectatrice. Son solo est en tout cas un voyage dont on sort transformé.

Claudine Colozzi

June Events
Atelier de Paris 
Route du champ de manœuvre
75012 Paris

Empire of a Faun Imaginary de Simone Mousset
Atelier de Paris
Le 6 juin à 19h30
Durée 1h05
Direction artistique de Simone Mousset 
Avec Tasha Hess-Neustadt, Lewys Holt, Eevi Kinnunen & Hannah Parsons
Collaboration artistique de Neil Callaghan 
Scénographie & costumes de Lydia Sonderegger 
Lumière de Seth Rook Williams 
Son de Alberto Ruiz Soler 
Travail voix & composition vocale – Jamie McCarthy
Dramaturgie de Lou Cope 
Consultant théorie culturelle – Macon Holt

BOW’T TRAIL Rétrospek de Rhodnie Désir
Le 6 juin à 21h au Théâtre de l’Aquarium
Durée 1h15
Chorégraphie, interprétation, direction artistique, compositions vocales de Rhodnie Désir 
Musiciens – Engone Endong, Jahsun 
Conception vidéo de Manuel Chantre 
Conception lumières de Juliette Dumaine 
Conception lumières (accessoires) – Jonathan Barro 
Conception costumes de Mélanie Ferrero 
Beatmaker, compositeur sonore de Engone Endong 
Accompagnatrice·eur à la création – Isabelle Poirier, James Viveiros 
Consultation artistique senior – Philip Szporer 
Couturière – Natalie Talbot