Altamira 2042 ©Nereu Jr
Altamira 2042 ©Nereu Jr

Théâtre en mai, un tour d’horizon dijonnais du spectacle vivant

À Dijon, l'édition 2023 du festival Théâtre en mai, porté par Maëlle Poésy, offrait un éventail riche d'écritures et de formes.

Altamira 2042 ©Nereu Jr

À Dijon, l’édition 2023 du festival Théâtre en mai, porté par Maëlle Poésy, offrait un éventail riche d’écritures et de formes. De quoi se mettre au diapason de la création contemporaine.

Altamira 2042 de Gabriela Carneiro da Cunha ©Nereu Jr

Pour sa deuxième année à la tête du Théâtre Dijon Bourgogne et de son festival Théâtre en mai, Maëlle Poésy continue de donner son inflexion nouvelle à ce rendez-vous trentenaire. En sortant de la gare, une immense affiche mauve, à la couleur de cette édition, signale le désir de l’événement d’habiter la ville. Un œil sur le programme le confirme : les points de rendez-vous sont nombreux. Il y a des salles, bien sûr, mais aussi des lieux d’in situ : des extérieurs ou un grand hangar qui accueille les nez rouges de Clownstrum, la fable dystopique du Munstrum Théâtre.

« La Saga Molière », biographie iconoclaste
La Saga Molière ©Julien Gatto
La Saga Molière de Johana Giacardi ©Julien Gatto

Rencontrée le temps d’un café entre les murs de pierre du parvis Saint-Jean, ancienne église accueillant une salle de spectacle et les quartiers du festival, Maëlle Poésy nous l’affirme : « Les projets hors-les-murs peuvent renouveler le rapport au théâtre dans l’imaginaire du public. Des lieux connus sont vus différemment. Et Théâtre en mai devient le festival de la ville ». À ce titre, le premier week-end de festival, entre le beau Hamlet de Chela de Ferrari et Les quatre points cardinaux sont trois d’Andrés Labarca, nous avions rendez-vous dans le jardin de l’Arquebuse, avec Johana Giacardi et sa troupe (Valentine Basse, Anne-Sophie Derouet, Nais Desisles et Edith Mailaender) qui s’amusent sans préavis à haranguer la foule des festivaliers.

La metteuse en scène de la compagnie Les Estivants n’est pas la première à faire théâtre de la vie de Molière, mais elle apporte sans conteste une certaine fraîcheur à son récit. Réactivant librement un théâtre forain, elle déroule sur tréteaux la vie de Jean-Baptiste Poquelin, de l’enfance à la fin de vie. Dans un déballage foutraque de costumes et accessoires volontiers anachroniques, La Saga de Molière fait surtout se télescoper, de manière très ludique, la vision fantasmée de la carrière du grand auteur de théâtre et les conditions matérielles d’une petite compagnie. Non sans succès.

Romain Bertet, Sophie Dufouleur, artistes d’extérieur
Underground de Romain Bertet ©Eric Petit
Underground de Romain Bertet ©Eric Petit

« La défense des écritures contemporaines et plurielles est au cœur du projet du CDN, poursuit sa programmatrice curieuse et avenante. Cela inclut des œuvres de l’international, dramaturgies qui ne sont pas que textuelles mais empruntent à d’autres formes. » Pour exemple, toujours en plein air, dans le campus de l’Université de Bourgogne, Romain Bertet présente l’étonnante performance Underground. Aussi envoûtante qu’inquiétante, cette pièce d’une demi-heure nous met face à l’image absurde d’un homme à la tête plantée dans la terre. Un croisement d’homme et de taupe ? Un accident de jardinage ? Chacun s’imaginera ce qu’il veut, puisqu’on découvre le désastre in medias res. Bertet, chorégraphe et interprète, fidèle notamment de Maguy Marin, ne cherche d’ailleurs pas tant à raconter qu’à ouvrir le champ libre aux interprétations, avec une pirouette en bout de course. Puisant dans l’héritage surréaliste, avec une certaine fascination pour le mystère de l’électricité, il signe là un objet poétique et enlevé.

Toujours dans la volonté de défendre des formes interdisciplinaires et de proposer des rapports avec le public qui diffèrent du schéma gradins-salle, le parcours se poursuit à travers d’autres œuvres dites immersives, où notre corps entier est sollicité. Souvent, le risque couru par ce genre de créations est de voir la substance, la matière à réflexion, mangée par le dispositif. On n’échappe donc pas, ici, à des rendez-vous un peu moins concluants que d’autres. Sur le même campus, Sophie Dufouleur et la compagnie Abernuncio élaborent une installation immersive à partir d’entretiens enregistrés. Agréable et rondement menée, Vox Populi, qui fait le choix de présenter en kaléidoscope des témoignages lambda sur des sujets comme le désir et la peur, reste un peu anecdotique.

Altamira 2042, son et lumière amazonien
Altamira 2042 de Gabriela Carneiro da Cunha ©Nereu Jr
Altamira 2042 de Gabriela Carneiro da Cunha ©Nereu Jr

Lorsqu’on cherche à connaître ce qui anime Maëlle Poésy quand elle va découvrir une pièce, l’artiste répond que sa sensibilité l’amène vers des pièces qui « décalent notre perception du monde.  » C’est l’ambition d’Altamira 2042, la pièce de la brésilienne Gabriela Carneiro da Cunha, créée à São Paulo en 2019. Le public est mêlé à ce spectacle de sons, de lumières et de projections. L’artiste va d’abord allumer des radios aux lumières fluorescentes, qui se mettent à diffuser une à une différents sons de la forêt amazonienne. Puis aux chants des oiseaux se supplantent les hurlements de tronçonneuses.

Concentrant son propos sur les conséquences de l’érection d’un grand barrage sur la rivière Xingu telles que les vivent les populations locales, l’artiste poursuit une cruciale exploration de ce que veut dire « anthropocène », et quelles en sont les alternatives philosophiques, au regard du vécu des populations indigènes du Brésil. L’œuvre est plus réussie sur le plan sonore, incluant la contribution du public à une sorte de transe collective, que dans sa création visuelle, plus didactique. Elle n’en poursuit pas moins un dessein à la riche portée théorique : amplifier d’autres rapports sensibles entre l’homme et la nature tels qu’ils existent déjà chez des peuples réduits au silence, en tentant d’« indigéniser » le monde.

« Sensuelle »/« Itinéraires » : huis-clos de crise
Sensuelle de Jean-Christophe Folly ©Virginie Meigné
Sensuelle de Jean-Christophe Folly ©Virginie Meigné

Retour en salle : Sensuelle de Jean-Christophe Folly et sa famille dysfonctionnelle nous attendent dans un intérieur bordé d’une centaine de paire de talons, signe du lustre passé de son personnage principal. Entourée de sa fille Branche (géniale Juliette Savary) et de son gendre Charles-Etienne (William Edimo), Sensuelle, une femme vieillissante (Emmanuelle Ramu), avoue avoir tué un homme parce qu’il lui a dit qu’elle ne l’était justement plus, sensuelle. Vidant ses meilleures réserves de Sancerre avant de partir derrière les barreaux, elle entraîne tout le monde dans un grand déballage de névroses. Folly, acteur et metteur en scène de la région (vu au cinéma dans Sans filtre), fait preuve, pour sa deuxième mise en scène, d’une étonnante audace, mêlant une ambiance et un jeu proto-vaudevillesque à un ton d’une cruauté saisissante. Si l’on frôle de près le trop-plein, la pièce va néanmoins assez loin dans sa sismographie des tumultes familiaux, notamment dans le portrait de Charles-Étienne, gendre noir parmi les blancs, qui fait tomber son masque.

Même huis-clos domestique dans Itinéraires du duo franco-roumain Yann Verburgh et Eugen Jebeleanu. Nous sommes d’abord chez une famille de manchots émigrée du pays des glaces, puis les six acteurs prennent la parole tour à tour, déployant un kaléidoscope d’histoires de migration, d’arrachement, de survie en dépit du sentiment de n’être pas à sa place. Malgré sa belle distribution et d’une création sonore remarquable signée Rémi Billardon, la pièce s’égare un peu trop longtemps dans sa dramaturgie un peu old school, au gré d’agitations et de provocations formelles qui manquent de souffle. Sa dernière partie nous rattrape in fine. « J’aime penser la programmation comme un parcours de spectateur, conclut Maëlle Poésy. C’est une porte ouverte à la curiosité. Cela permet d’introduire des formes plus radicales à côté d’autres plus accessibles ». Ce bel éventail de propositions peut lui donner raison.

Samuel Gleyze-Esteban – Envoyé spécial à Dijon

Théâtre en Mai
Théâtre Dijon-Bourgogne
Parvis Saint-Jean
Rue Danton, 21000 Dijon

Du 18 au 28 mai 2023

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