Aina Alegre © Pascale Cholette

Aina Alegre, l’air à l’épreuve du mouvement 

De June Events au Festival de Marseille, Aina Alegre, nouvelle co-directrice du CNN de Grenoble, fait danser les corps, les êtres.

Aina Alegre © Pascale Cholette

De la Cartoucherie parisienne au Vieux-Port phocéen, où elle ouvre le bal de deux festivals emblématiques, June Events et le Festival de Marseille, la chorégraphe catalane, nommée en duo avec le danseur Yannick Hugron à la tête du CCN à Grenoble en septembre 2022, questionne la place du corps et de ses déplacements dans l’environnement qui l’entoure. 

© Pascale Cholette

Quelle est la genèse de This is not « an act of love and resistance »,pièce présentée au Manège de Maubeuge en mars dernier, que vous présentez en ouverture du festival June Events ? 

Aina Alegre : L’idée de ce spectacle s’est concrétisée en novembre 2020. Nous étions en pleine pandémie. La plupart des pays européens étaient confinés, à nouveau. J’avais l’envie d’aller à contre-courant de ce que je vivais, sentir à nouveau la possibilité de partager avec d’autres une expérience, ne pas rester seule dans mon coin. J’avais le besoin viscéral de m’exprimer, de mettre à nouveau le corps en mouvement. C’était, je crois ma manière à moi de résister, de refuser l’isolement imposé par nos gouvernements, continuer à imaginer des projets pour le futur où nous serions plusieurs au plateau, où le contact avec l’autre serait à nouveau possible. Cette sensation d’être enfermée chez soi a réveillé en moi un regain de vitalité, de communion, un désir de rassembler autour d’un projet tout un groupe d’artistes, en l’occurrence, ici de danseuses et de musiciennes. 

L’air qui nous environne semble au cœur de cette œuvre… 
This is not « an act of love and resistance » d’Aina Alegre © Phile Deprez
© Phile Deprez

Aina Alegre : L’air est un des éléments naturels qui nous entoure et qui nous permet de respirer. Il est multiple, nous pénètre, circule autour de nous. Il est partout. C’est la première chose que l’on partage. Quand je travaillais sur ma pièce précédente R-A-U-X-A, il s’est déjà imposé dans la réflexion, car il fait partie de l’espace, il permet de faire circuler le son, la lumière. Il a sa propre énergie avec qui nous devons faire corps pour bouger, se mouvoir. J’avais donc envie d’aller encore plus loin dans mon processus créatif, en faire un endroit de résonnance, plonger dedans et voir ce qu’il en résultait. 

Le souffle est aussi très présent…

Aina Alegre : Je n’avais pas forcément envie de faire une pièce sur la respiration, mais c’est vrai qu’un des processus de cette pièce s’intéresse à comment le souffle, la capacité de chacun des interprètes à inspirer et expirer permet de moduler, un geste, un mouvement, un son. Avec les artistes qui sont au plateau, tout particulièrement les trombonistes et la tubiste, en raison bien évidemment de la mécanique de leurs instruments basée sur le souffle, nous avons énormément travaillé la respiration et le diaphragme. Le souffle est très présent, mais plus comme une musique, comme un rythme. Il cadence le spectacle et lui donne sa dimension itérative, singulière et enveloppante. 

Est-ce toujours le même processus de création ?

Aina Alegre : Ça dépend. C’est très variable d’une pièce à l’autre. Pour This is not… j’avais vraiment envie d’un partage, de me confronter à d’autres pratiques que celles qui sont les miennes. Avec les neufinterprètes nous avons donc beaucoup travaillé autour du mouvement, de la manière dont les corps ensemble interagissent. L’autre chose qui était importante pour moi, c’est que la musique soit jouée en direct, qu’il y ait l’impression pour le public d’être au cœur du spectacle, qu’il soit partie prenante de la fête à venir. Je voulais que la pièce soit kaléidoscopique, qu’on est l’impression de parcourir – tout en restant immobile – des univers et des ambiances différents, que l’on passe des fanfares, aux célébrations de vie et de mort, aux brassbands de la Nouvelle-Orléans, que l’on fasse autant un bond dans le passé que le futur, que l’on puisse entendre comme le vrombissement d’un moteur. 

D’où vous viennent ces inspirations ? 
This is not « an act of love and resistance » d’Aina Alegre © Phile Deprez
© Phile Deprez

Aina Alegre : de ce que je lis, de ce que je vois. Je me nourris de tout ce qui m’entoure que ce soit plastique, sonore ou des instants de vie du quotidien. J’aime bien l’idée de m’imaginer poreuse, que tout ce qui m’arrive, tout ce que je découvre – pièces, œuvres d’art, sculptures, etc. – infuse en moi. J’ai donc construit le spectacle comme une dramaturgie où se conjuguent différents plans séquences, où il est possible de plonger dans différentes ambiances, différentes dimensions de l’air. Une des idées qui a été importante pour moi, c’est l’idée de projeter le corps des interprètes dans un futur ponctuel et imaginaire. 

D’autre part, mon père étant musicien, j’ai baigné toute mon enfance dans un univers où les notes, les sonorités sont essentielles, où il est important de célébrer la vie, à travers la musique, de se laisser porter par les rythmes…

Marie Didier, directrice du Festival de Marseille, vous a proposé d’imaginer un spectacle d’ouverture, un spectacle qui s’approprierait le Fort Saint-Nicolas, qui jusqu’à présent était militaire, et donc inaccessible au public…. 

Aina Alegre : C’est une chance incroyable de pouvoir, avec une centaine d’amateurs, donner vie à un lieu jusqu’alors interdit au public, d’appréhender une architecture, un lieu en travaux et lui donner vie. Tout comme pour This is not…, j’ai eu envie de poursuivre l’idée de célébration et d’imaginer un acte collectif. J’ai tout de suite pensé aux fêtes de village où j’allais petite, à cette façon particulière de s’approprier de l’espace public, d’en comprendre la dimension culturelle et de lui insuffler une dimension humaine et conviviale. Très vite, ce qui m’a intéressé avec ce Fort, c’est son architecture que je trouve assez impressionnante. Il était important de la faire mienne et de l’offrir aux amateurs marseillais pour qu’ils se la réapproprient. Nous sommes au tout début des répétitions, mais je voudrais qu’ils fassent corps avec ce lieu, qui le fassent vibrer et lui inventent une nouvelle mémoire d’autant que l’objectif à long terme est d’en faire un lieu dédié à la culture. 

Comment se passent les répétitions avec des amateurs ? 

Aina Alegre : On vient de commencer. Je travaille avec un petit groupe de danseurs/passeurs, qui ensuite transmettent au reste de la troupe. On répète de courtes séquences, mais nous n’avons pas encore pu s’installer in situ. C’est donc pour l’instant un travail au studio. J’ai hâte de retrouver le groupe et de plonger avec eux dans le lieu et voir ce que l’on va pouvoir faire et inventer. 

Avez-vous d’autres projets et vous reverra-t-on au plateau ? 

Aina Alegre : Dans ma prochaine création. Le plateau me manque. Avec This is not… ce n’était pas envisageable, mais j’ai hâte de m’y remettre. Ce sera pour l’année prochaine, j’espère.  

Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore

This is not « an act of love and resistance » d’Aina Alegre
Création en décembre 2022 au December Dance (Cultuurcentrum and Concertgebouw Brugge), Belgique

Tournée
le 30 mai 2023 à June Events, Atelier de Paris
les 18 et 19 juillet 2023 au Grec Festival de Barcelone, Espagne

Parades & Désobéissances d’Aina Alegre – CCN Grenoble & Studio Fictif
Festival de Marseille
La Citadelle de Marseille
les 17 et 18 juin 2023

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