À Lyon, à l’initiative de Stéphane Malfettes, directeur des SUBS, l’artiste scénographe invite à une expérience chromatique et aquatique. Avec BLEU, la saison estivale s’annonce festive, écoresponsable et iconoclaste.
© Letizia du Collectif les Flous furieux
Comment est né BLEU ?
Alix Boillot : En juillet 2019, Stéphane Malfettes est venu voir une de mes créations au théâtre Paris-Villette. J’avais imaginé une performance d’une trentaine de minutes, intitulée Scénographie Potentielle. L’environnement où évoluait Julien Lacroix, interprète, était déjà bleu. Fin 2021, il m’a invitée à présenter ce travail dans le Hangar des SUBS. Dans ce lieu atypique, l’objet prenait une dimension autre, qui lui a plu. Dans la foulée, il m’a proposé de réfléchir à une installation qui investirait l’esplanade du centre artistique des quais de Saône comme l’avaient fait en 2021 le duo Domitille Martin–Alexis Mérat et en 2022 le collectif UV-LAB. Il m’a donné carte blanche, mais les contraintes imposées par le lieu sont importantes, puisque la structure est forcément en extérieur, et donc soumise aux aléas climatiques. Elle doit avoir une durée de vie de cinq mois et s’intégrer aux bâtiments de l’ancien couvent et de l’ancienne caserne. Il est donc nécessaire d’imaginer quelque chose d’à la fois éphémère et pérenne. Par ailleurs, l’aménagement scénographique doit avoir une forme spectaculaire, mais sa vocation est d’être un lieu de rencontre, de partage et de performance.
Quel a été le point de départ de vos réflexions suite à la commande de Stéphane Malfettes ?
Alix Boillot : L’idée de l’eau s’est imposée dès le début. Ça a été mon point d’ancrage, mon fil rouge. Assez logiquement, j’ai commencé à penser à une fontaine. Ça correspondait aux cahiers des charges des SUBS, qui souhaitaient un endroit où les gens se rassemblent. Dans un village, c’est souvent le noyau central où tout converge. Et puis l’eau est un élément que j’aime travailler dans ses différents états. J’avais déjà, lors de précédents projets, imaginé des sculptures en glace ou en neige, et d’autres que je déposais dans des lacs, des rivières. J’avais donc le désir de poursuivre l’exploration de cette matière qui fait partie de notre quotidien et qui a toujours été, quelles que soient les civilisations, un élément essentiel, vital. À travers mes souvenirs d’enfant, lorsque je passais mes vacances d’été au bord de la Méditerranée, l’eau, le bleu et l’oisiveté se sont associés dans mon inconscient. Cet endroit où l’on prend le temps de se poser, de s’installer pour discuter, pour laisser s’écouler les minutes, les heures, a pris la forme d’un jardin dont le point de mire serait une fontaine.
Pour créer BLEU, quelles ont été vos sources d’inspiration ?
Alix Boillot : J’ai consulté différents ouvrages de référence évoquant les jardins, les places publiques, la manière dont l’eau circule dans les systèmes hydrauliques pour alimenter les fontaines. Puis, l’été dernier, je suis partie en Italie. J’ai visité les jardins de la Villa d’Este, la villa Adriana… Ce qui m’a plu, c’est leur configuration. Contrairement aux jardins à la française dont la ligne de fuite est l’horizon, ceux à l’italienne montent vers le ciel. Au vu de la configuration des SUBS, avec ses balmes qui ferment la perspective, il y avait comme une évidence. De la grille d’entrée aux jardins suspendus, la structure de la fontaine, la manière d’agencer le lieu se sont imposés.
Vous avez évoqué un peu plus tôt l’aspect éphémère de l’installation qui se niche jusque dans les matériaux utilisés pour construire la fontaine et les vases…
Alix Boillot : Une partie des sculptures, tout particulièrement les vases, a été créée de manière artisanale avec du sel, une pointe de ciment blanc et de l’eau. Nous avons fait énormément de tests pour trouver la composition exacte qui permettait une érosion sur quelques jours. Finalement, rien ne se passe comme prévu. Au bout d’une semaine, on a pu observer que non seulement elles fondaient moins vite que ce que j’avais prévu, qu’elles se teintaient au fil du temps et que de la mousse venait par endroit les recouvrir. En conséquence, nous allons les laisser en place plus longtemps que prévu et ainsi laisser la nature et les éléments agir.
Scénographe et plasticienne, vous travaillez souvent pour le spectacle vivant. Stéphane Malfettes vous a proposé de participer à la programmation. Comment se sont orientés vos choix ?
Alix Boillot : En effet, dès le départ, l’idée était de créer autour de BLEU une émulsion créatrice et de faire intervenir des artistes faisant partie de ma constellation. J’ai donc fait appel aux gens qui me sont proches et dont les univers entrent en résonnance avec mes propres réflexions. C’est ainsi que se sont trouvés associés au projet César Vayssié, Dominique Gilliot ou Nicolas Barry. Il était important voire primordial pour Stéphane et moi que les artistes conviés soient tout terrain et à l’aise avec le travail in situ.
Qu’est-ce que vous espérez que le public retienne de cette expérience ?
Alix Boillot : Je dirais plutôt des sensations. D’abord, je crois que c’est l’idée d’être ensemble, d’entretenir un autre rapport avec le temps, qui doit infuser lentement chez les visiteurs. Puis, les jardins sont, à mon sens, parmi les derniers endroits non rentables. On peut juste être là, se poser, réfléchir, s’ennuyer, sans consommer, sans rien faire. Je souhaite aussi que les gens se sentent libres. Certains jettent des pièces dans la fontaine, font des vœux, d’autres les ramassent. J’ai hâte de voir comment tout cela va évoluer, comment les spectateurs vont s’en emparer. Déjà, l’installation ne m’appartient plus. Elle est à toutes et à tous. Et je pense que c’est le plus important.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
BLEU
Les SUBS
8bis quai Saint Vincent
69001 Lyon
jusqu’au 8 octobre 2023