Nicolas Vial met en scène la grande pièce de Michael Frayn, Copenhague, qui met l’homme au cœur même de l’atome dans la tourmente de la Seconde Guerre mondiale. Ce texte auréolé de gloire à sa création en 1998 à Londres puis à Paris en 1999, prend aujourd’hui une résonance résolument moderne.
© L’oeil de Paco
L’année 1999 aura été celle de Copenhague. Créé au théâtre Montparnasse dans une mise en scène de Michael Blakemore, avec Pierre Vaneck, Niels Arestrup et la délicieuse Maïa Simon, le spectacle a reçu le « Molière de la Meilleur adaptation », pour Jean-Marie Besset, et le « Molière de la Meilleure pièce de création ». Lorsque j’ai assisté, à l’époque, à la générale, l’auteur était présent dans la salle. Vingt-quatre ans plus tard, il est toujours là, dans ce délicieux petit théâtre de la Reine Blanche, où sa pièce est à nouveau montée.
Cette œuvre a toute sa place dans la programmation du théâtre de la Reine Blanche, scène des arts et des sciences. Cet automne, Exil Intérieur d’Élisabeth Bouchaud, qui dirige également ce lieu atypique, sur la physicienne Lise Meitner, m’a permis d’être plus au fait. Car oui, j’appartiens à la caste des littéraires qui durant les cours de physique-chimie préférait faire du billard avec les atomes, plutôt que d’en comprendre le fonctionnement.
Le mystère de Copenhague
Un soir de 1941, en pleine guerre, le physicien allemand, Werner Heisenberg, un des fondateurs de la physique quantique, rencontre à Copenhague son mentor, le physicien danois, Niels Bohr. Ce dernier, lauréat du Prix Nobel de 1922, est connu pour « son apport à l’édification de la mécanique quantique ». Quelle était la raison de ce déplacement ? Que se sont-ils dit ? L’auteur part de ce fait authentique pour questionner l’humain sur cette terrible aventure du nucléaire qui se termina par Hiroshima et Nagasaki. Trois pistes sont explorées. La première serait que Werner voulait savoir où en étaient les alliés. La seconde, qu’il désirait prévenir du danger des avancées des nazis sur le sujet. La troisième, qu’il souhaitait dissuader l’Amérique de se servir de la bombe, sur laquelle il avançait, contre son peuple.
Si parfois, les explications théoriques entre les deux savants nous échappent, le combat entre celui qui fut le « père » et le « fils » tombe dans l’universalité. L’un est juif, l’autre au service des nazis. L’un était pour « la complémentarité » et l’autre pour « le principe d’incertitude ». Ces deux aspects de la physique s’appliquent à l’homme. Qu’est-ce qu’une certitude ? Surtout quand on songe à celle mise en place par le nazisme. Qu’est-ce que la complémentarité ? Celle de deux êtres unis par une même passion, ici la recherche. Quelle est la place du savant quand la société déraille ? La bombe, était-elle la seule solution ? Si l’un ne l’a pas conçu, l’autre y a participé. Le débat est captivant.
Ombres et lumières
Nicolas Vial signe une mise en scène excellente. S’appuyant sur le principe scénique mis en place par l’auteur, à savoir que les protagonistes sont morts et donc dans les limbes du passé, il fait surgir ces fantômes qui tentent de refaire l’histoire pour donner des réponses à notre présent. Faisant circuler les personnages sur la scène, mais également dans la salle, il nous place au cœur même de l’histoire. Cela fonctionne très bien.
Le metteur en scène s’est attribué le rôle du fils prodige, fonceur et narcissique, Werner Heisenberg. Montrant les failles de cet homme étrange, Nicolas Vial est impressionnant. Stéphane Valensi, comédien d’une grande subtilité, que l’on a découvert dans la compagnie de Laurent Terzieff, possède la sensibilité nécessaire pour faire vibrer et douter Niels Bohr. Il y a un personnage, qui avec la patine du temps, a pris de l’épaisseur et la place qu’elle mérite : Margrethe Bohr. Femme de tête, qui en sait tout autant que les garçons, femme de cœur, qui voit plus loin que la pensée, elle irradie de toute sa science et surtout de toute sa clairvoyance. Julie Brochen est formidable. Par l’intensité de leur interprétation, la justesse de la mise en scène, le texte nous atteint de plein fouet.
Marie-Céline Nivière
Copenhague de Michael Frayn.
Théâtre de la Reine Blanche – Scène des Arts et des Sciences
2 bis passage Ruelle
75018 Paris.
Du 3 au 21 mai 2023.
Du mercredi au samedi à 21h, dimanche 6 mai à 18h, dimanche 21 mai à 16h.
Durée 1h50.
Traduction de Jean-Marie Besset.
Mise en scène Nicolas Vial.
Collaboration artistique de Corinne Paccioni et Jean-Christophe Blondel.
Avec Julie Brochen, Stéphane Valensi, Nicolas Vial.
Scénographie de Grégoire Faucheux.
Lumière de Stéphane Deschamps.
Son de Frédéric Laügt.