À la Comédie de Valence, l’autrice Tünde Deak et la musicienne Léopoldine Hummel reprennent le travail, entamé en juillet 2022 dans le cadre de Vive le sujet ! au Festival d’Avignon autour des chansons-cabanes, et en imaginent une forme augmentée nourrie par les histoires d’inconnus rencontrés sur le territoire drômois.
Comment est née l’idée de prolonger Ladilom, d’en faire une version participative ?
Tünde Deak : C’est venu d’une demande de la Comédie de Valence. Ils m’ont proposé de reprendre la forme courte crée à Avignon et d’en faire une version plus longue qui s’inscrirait dans ce que l’équipe du CDN appelle O.V.N.I. C’est-à-dire une œuvre décalée, hors cadre, hors norme. L’offre était plus qu’alléchante, mais je n’avais pas forcément l’envie de retoucher ce que nous avions imaginé avec Léopoldine (Hummel), de l’étirer juste pour que le spectacle soit plus long. En revanche, je trouvais intéressant d’inviter au plateau d’autres langues, d’autres récits, d’autres cultures, de voir comment d’autres mélodies faisaient écho à mon propre récit. C’était une manière pour moi aussi de quitter un temps le territoire hongrois, d’aller vers des ailleurs vraiment différents. Très vite, l’idée de proposer à d’autres personnes de nous rejoindre sur scène s’est imposée.
Comment s’est fait le recrutement de ces personnes ?
Tünde Deak : Tout bêtement, nous avons passé une petite annonce. Nous avons fait un appel à participation via la Comédie dès la présentation de saison. Assez spontanément, nous avons commencé à recevoir des mails, où chacun racontait un peu sa vie et comment une chanson en particulier avait marqué son parcours. La seule contrainte que nous nous étions imposés, c’était de faire appel le moins possible à des amateurs. Sur les sept personnes qui interviennent au plateau, seul Marc, un chercheur d’origine grecque, pratique le théâtre. Tous les autres sont des novices et n’ont aucun lien avec le milieu du spectacle vivant. Ce qui nous intéressait avec Léopoldine, c’était qu’ils partagent avec nous leur réflexion sur le lien qu’ils entretiennent avec la langue de leurs parents et le rapport qu’ils ont avec une chanson qui s’impose à leur esprit, comme une litanie, un refuge, etc. Grâce à Julie Pradera, qui s’occupe des relations publiques au sein du CDN, nous avons aussi rencontré un certain nombre de personnes, comme Aïcha et son fils Adam, par le biais des maisons de quartier. Nous avons été au contact des gens et nous avons pris le temps d’échanger. Ça a été vraiment passionnant.
Que leur avez-vous demandé ?
Tünde Deak : Avec Léopoldine, nous sommes vraiment parties sur la question de la chanson. On a éliminé tous les gens qui venaient avec des berceuses. Ce n’était pas à cet endroit-là ce qui nous intéressait, mais plutôt une chanson qui, dans un moment de stress, un moment de bascule, s’est imposée à moi. On s’est assez rapidement rendu compte, chez certaines des personnes que nous avons rencontrées, qu’il y avait comme ça des chansons, des refrains qui revêtaient un sens particulier pour eux, qui étaient intrinsèquement liés à des moments de leur vie, heureux ou malheureux d’ailleurs. On était loin de l’anecdote. Chez eux, penser à tel air, fredonner telle rengaine, cristallisait un souvenir. Souvent, c’était d’ailleurs lié à une langue où s’inscrivait à un trajet d’exil. À partir de là, nous avons parlé du projet Ladilom, de la manière dont la notion de chanson-cabane est venue alimenter le spectacle. Petit à petit, nos interlocuteurs ont accepté de se livrer, de donner une part de leur histoire. Ensuite est venu le maillage entre les différents récits. Nous avons essayé de poétiser tout cela, d’évoquer ce que le brut d’une bourrasque ou d’une légère brise réveillait en eux. Nous avons construit un spectacle participatif, intime aussi, avec une trame à l’intérieur de laquelle chacun des sept intervenants, que nous avons choisi pour la diversité de leur parole, leur origine, est libre de ce qu’il raconte.
Qui sont-ils ?
Tünde Deak : En fait, sept personnes content six récits. Il y a tout d’abord, Li-Chin Lin, autrice et dessinatrice née à Taiwan, qui porte en elle les stigmates de l‘occupation chinoise. Elle ouvre la seconde partie du spectacle, car son histoire prend à contre-pied l’idée qu’une chanson-cabane est un refuge. Pour elle, l’air qu’elle a en tête est un hymne de propagande pro-chinois, une mélodie qu’elle ne supporte pas, mais qu’elle connaît par cœur, pour l’avoir apprise à l’école. Chez elle, ce chant patriotique crée de la tension, non de l’apaisement. Sa parole est éminemment politique. C’est pour cela qu’il nous a semblé nécessaire qu’elle soit là chaque soir. Ensuite, il y a Danielle Seropian, qui vient d’Arménie, Aïcha et Adam El Bourkhissi d’origine berbère, Sarah Bland, qui est anglaise, Marc Buonomo dont le père est italien et la mère grecque. Puis, tous les soirs, c’est Ruth Nüesch, une Suisse allemande, qui conclut le spectacle. La musique, le chant, c’est sa vie. Tous les moments de sa journée, sont rythmés par une mélodie, un air fredonné. Et puis elle ressemble tellement à ma grand-mère hongroise, que cela permet de revenir à Ladilom…
Le spectacle va tourner ?
Tünde Deak : Les deux versions vont tourner la saison prochaine, notamment à Mulhouse et à Lille. D’autres rencontres vont venir alimenter cette œuvre modulable au gré des rencontres. À chaque nouvelle étape, d’autres personnes viendront au plateau avec nous. Ce sera différent à chaque représentation. Afin de garder une trace de tout cela, nous avons mis au point un système de capsules sonores, où il est possible de réécouter, les récits des personnes que nous aurons rencontrées pour faire vivre ce projet. Une exposition sera d’ailleurs présentée à la Comédie de Valence, l’an prochain. L’idée étant de constituer une sorte de bibliothèque de chansons et de récits riches de parcours et de langues différentes. En parallèle, avec Léopoldine, nous continuerons à présenter la forme performative de 40 minutes.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore – Envoyé spécial à Valence
Ladilom de Tünde Deak et Léopoldine Hummel
La Comédie de Valence
La Fabrique
78 avenue Maurice Faure
26000 Valence
Jusqu’au 29 Avril 2023
Texte et mise en scène de Tünde Deak
Musique de Léopoldine Hummel
Avec: Tünde Deak, Léopoldine Hummel et la participation de Sarah Bland, Marc Buonomo, Li-Chin Lin, Aïcha et Adam El Bourkhissi, Ruth Nüesch, Danielle Seropian (en alternance)
Lumière de Xavier Lazarini
Son de Teddy Degouys, Michaël Selam
Scénographie de Marc Lainé
Costumes de Dominique Fournier
Texte publié aux éditions Koïnè
Tünde Deak est membre de l’Ensemble artistique de La Comédie de Valence
Spectacle créé le 19 juillet 2022 dans le cadre de Vive le sujet! au Festival d’Avignon
O.V.N.I. créé le 25 avril 2023 à La Fabrique, Valence