Dissident, il va s'en dire © Marion Duhamel

Avec Dissident, il va s’en dire, Hugo Givort entre dans la cour des grands

A l'Artistic Théâtre, Hugo Givort met en scène avec précision le magnifique texte de Michel Vinaver.

Dissident, il va s'en dire © Marion Duhamel

Le jeune Hugo Givort signe une première mise en scène des plus réussies, montrant brillamment l’intemporalité du magnifique texte de Vinaver, Dissident, il va s’en dire. Ce spectacle est à découvrir de toute urgence à l’Artistic théâtre, dirigé par Anne-Marie Lazarini, qui s’y connaît en découvreuse de talent.

© Mario Duhamel

En observant ce qui se passe derrière les fenêtres qui abritent ce que l’on imagine des vies bien ordonnées, le dramaturge Michel Vinaver aborde avec une grande justesse des thèmes qui avec le temps n’ont pas pris une ride. En douze tableaux, l’auteur nous dresse, à travers les relations d’une mère et d’un fils, en âge de prendre son indépendance, le portrait d’une société en perdition, secouée par les mutations qu’elle a mises en place.

Vivre n’est pas une mince affaire

Il y a d’abord la famille. Elle est ici monoparentale. Ce qui à l’époque où la pièce a été écrite, 1978, n’était pas si habituel. Le divorce était assez rare. Il y avait quelque chose de l’ordre de la honte d’être enfant de divorcé. Aujourd’hui, la tendance serait l’inverse et les familles se recomposent. Toutefois, les blessures restent les mêmes.

Dissident, il va s'en dire de Vinaver - Mise en scène d'Hugo Givort © Marion Duhamel
© Marion Duhamel

Cette solitude à vivre à deux a forgé entre la mère et le fils des relations fusionnelles. L’enfant qui n’en est plus un, doit prendre son envol ! Il aimerait qu’elle « le laisse être » tout simplement. Toute sa vie a tourné autour de lui, il pense qu’il est temps qu’elle redevienne une femme. Qu’elle se trouve un homme aimant. Le dialogue entre le jeune adulte et la figure maternelle se fait de plus en plus difficile. Hélène s’inquiète pour son fils, Philippe. Et elle a bien raison. Leurs échanges, souvent banals, fait de petits riens, de silences, d’omissions et de routines résonnent avec toujours autant de justesse dans ce que cela raconte : la douleur de se construire perpétuellement. Une réalité qui ne se démode pas.

Crise familiale, économique et sociale

Les années Giscard ont plongé la France dans la crise, terminant tristement les 30 glorieuses. 45 ans plus tard, on ne peut pas dire que la société se porte mieux ! Les personnages de Vinaver sont de plain-pied dans la vie, chômage en ligne d’horizon pour la mère, avenir sans perspective pour le fils. Hélène est statisticienne. L’ordinateur va la remplacer. Qu’elle sera alors sa place dans le monde du travail ? Le métier qu’elle a appris n’existe plus. À son âge, comment aborder une reconversion ?

Philippe a arrêté ses études. Son géniteur, patron d’entreprise, pourrait l’aider, mais il n’en est pas question. Le jeune homme ne veut rien lui devoir. Juste pour l’embêter, il se fait engager chez Citroën comme ouvrier. Il parle de grève et d’action. Pourtant, il semble préférer les disques, la drogue et les copains qui envahissent de plus en plus son espace de vie. On sent très vite que la chute n’est peut-être pas bien loin. Cela aussi n’a pas changé…

Le vol comme unique moyen d’envol

En cette fin des années 1970, le monde bouge et explose de partout. La dictature est tombée en Espagne, mais revenue au Chili. Le Moyen-Orient est secoué de guerre et de drame. Avec les actions terroristes de la bande à Baader et la Fraction Armée Rouge en Allemagne, les Brigades rouges en Italie, ce sont les « années de plombs ». Philippe, va-t-il se faire embrigader ? C’est aussi l’époque du grand banditisme avec « l’ennemi public numéro un », Jacques Mesrine. Une autre voie possible pour celui qui ne veut que le bonheur de sa mère. Et qui dit bonheur, dit argent ! En ce début de XXIe siècle, beaucoup de jeunes hésitent entre l’engagement fanatique, la rébellion armée où le deal de drogue.

Quand le passé parle au présent
Dissident, il va s'en dire de Vinaver - Mise en scène d'Hugo Givort © Marion Duhamel
© Marion Duhamel

Hugo Givort a choisi délibérément de laisser la pièce dans son jus, 1978. Sa scénographie, réussit le tour de force de ne pas tomber dans la caricature, mais dans un réalisme. On souligne au passage l’excellent ouvrage de la costumière Dominique Bourde. C’était hier, mais cela peut être aujourd’hui. Bien sûr, les vidéos projetées durant le spectacle rappellent l’époque. Elles ouvrent surtout sur l’extérieur, sur ce monde qui nous entoure et nous façonne. Subtilement utilisées et distillées judicieusement, elles se fondent dans la narration. Qu’elle est drôle et intelligente son idée de détourner, à l’aide de Playmobil®, les deux grands moments de la messe cathodique qu’étaient le JT et le feuilleton du soir !

Un travail remarquable

L’utilisation du plateau divisé en deux espaces, la chambre et la cuisine, fonctionne très bien. Elle permet d’inscrire les relations mère-fils, dans ce quotidien prêt à exploser. Judith d’Aleazzo incarne avec sensibilité cette mère courage exemplaire. La comédienne donne également de belle nuance à cette femme encore jeune, mais que la société est en train de mettre sur le bord de la route. Inscrivant avec une grande finesse la fragilité et les doutes de la jeunesse, Pablo Cherrey-Iturralde, que l’on avait découvert dans Un visiteur inattendu, est formidable. Il porte en lui toute la candeur de cet enfant qui va bousiller sa vie d’adulte. Le jeu net et précis des deux comédiens rend cette mise en abîme bouleversante.

Marie-Céline Nivière

Dissident, il va s’en dire de Michel Vinaver.
Festival Off AvignonThéâtre du Petit Chien
76 rue Guillaume Puy – 84000 Avignon.
Du 7 au 29 juillet 2023 à 17h40, relâche les mardis.

Durée 1h.

Artistic théâtre
45 rue Richard Lenoir
75011 Paris.
Du 17 avril au 31 mai 2023
Les mardis, jeudis, vendredis à 19h, les mercredis à 20h, les samedis et dimanches à 15h.

Mise en scène, scénographie, son et vidéo d’Hugo Givort.
avec Judith d’Aleazzo et Pablo Cherrey-Iturralde.

Costumes et collaboration artistique de Dominique Bourde.
lumières de Xavier Lazarini.

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