Votre compagnie s’appelle « S’Appelle reviens ». D’où vient ce nom ?
Alice Laloy : Ce nom de compagnie vient d’une anecdote lors d’une soirée entre amis de promotion [École du TNS, groupe 32, ndlr]. Ce n’est pas la blague en soi qui avait retenu mon attention : la personne qui avait fait la plaisanterie avait un humour incompris, et cette blague nous avait tous fait rire. C’est donc en hommage à l’exception de la blague réussie que j’ai appelé ma compagnie « S’Appelle Reviens ». C’est un nom qui ne se prend pas au sérieux. J’ai ensuite traversé une période où je n’assumais plus tellement le nom en termes esthétiques, car il drainait une image potache qui ne me semblait pas juste par rapport à ce que je cherchais artistiquement. Mais plus tard, alors que nous sommes revenus avec des spectacles dans un certain nombre de théâtres, ce nom s’est mis à porter un deuxième sens plus lié aux allers et venues, proche de l’idée des tournées, des fidélités et des voyages. Maintenant, il prend encore un nouveau sens avec l’ouverture du Bercail, induisant nos retours à la maison.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de délocaliser votre compagnie et de l’installer à Dunkerque ?
Alice Laloy : Lorsque j’ai appris que Claire Dancoisne souhaitait quitter son lieu à Dunkerque, je l’ai contactée immédiatement. J’avais découvert le lieu en tant qu’artiste en résidence quelques années auparavant et j’avais été totalement séduite par l’endroit, ses espaces, son atmosphère, l’outil en soi… Je rêvais depuis longtemps d’un lieu de compagnie et en équipe nous ressentions la nécessité de pouvoir réunir nos objets et outils et de rassembler nos expériences dans un lieu unique. Poser nos bagages et stabiliser une part de la compagnie pour continuer de faire avancer et grandir les projets artistiques nous est apparu essentiel. L’opportunité de prendre la suite de Claire m’a ainsi poussée à délocaliser ma compagnie et à l’installer dans ce lieu dunkerquois.
Quel est votre projet pour ce lieu ?
Alice Laloy : Mon projet pour le Bercail est avant tout de le mettre au service des processus de création de la compagnie et des compagnies qui seront invitées à y résider, tout en restant poreux à des partenariats avec d’autres structures, compagnies, associations ou institutions, ou à des projets de territoire qui feront sans doute naître des projets éphémères et plus évènementiels. J’espère que nous arriverons aussi à développer l’outil à la mesure des possibilités dont il regorge : améliorer les équipements des ateliers de construction, costumes, accessoires et décors, est l’une de mes priorités. De plus, imaginer les capacités de logement du Bercail est une nécessité d’un point de vue logistique autant qu’économique et écologique. Pour finir, le désir d’ouvrir le lieu vers les habitants du quartier et les publics est fondamental pour notre projet. Du fait de la spécificité expérimentale du lieu, j’aspire pour celui-ci à y développer un projet en écriture permanente : imaginer des rencontres et des ouvertures au public chaque fois renouvelées. Se permettre de tenter des choses…
Vous remontez Pinocchio(live) avec des jeunes dunkerquois. C’est important pour vous de vous implanter territorialement et de retravailler le spectacle en l’adaptant au monde qui vous entoure ?
Alice Laloy : La création de Pinocchio(live)#3 fait suite au succès de Pinocchio(live)#2 et aux invitations qui nous ont été faites au Festival d’Avignon et au Festival Paris l’Été. La spécificité de la distribution fait que nous n’avons pas pu tourner avec les enfants de la deuxième version. Quand les enfants grandissent, ils ne peuvent plus jouer le spectacle. C’est effectivement important d’implanter la compagnie territorialement et ce projet est d’une nature parfaitement adaptée à cela, tout en restant avant tout de nécessité artistique. Suite à notre arrivée à Dunkerque, il nous est apparu évident de mettre en place une nouvelle équipe et de bâtir des partenariats pluriels et variés sur ce territoire. Pinocchio(live)#3, qui sera créé le 21 septembre 2023 au Festival Mondial des Théâtres de Marionnette à Charleville-Mézières, sera la première création de la compagnie suite à son arrivée en Hauts-de-France. Elle sera présentée. Elle fonde ainsi un premier contact avec le public et entre en écho avec notre désir de mettre en place des projets ambitieux favorisant les croisements et les rencontres.
Le week-end d’inauguration vient de se tenir. Comment s’est-il passé ?
Alice Laloy : Nous avions pensé le week-end d’inauguration avec le désir de présenter aux spectateurs un spectacle de la compagnie : À poils (spectacle familial et interactif) suivi à chaque fois d’un temps convivial au bar du Bercail. Nous avions aussi imaginé et mis en place un temps plus inaugural constitué d’une première partie institutionnelle de discours et de prises de parole des tutelles qui nous accompagnent (Communauté Urbaine de Dunkerque, Département du Nord, Région Hauts-de-France et DRAC Hauts-de-France). À la suite de cette introduction, avec la précieuse participation d’une cinquantaine d’artistes, créateurs et techniciens de la compagnie, nous avons présenté un happening : « Retour au bercail de la compagnie S’Appelle Reviens » comme une parade offrant une vision kaléidoscopique des différentes créations de la compagnie qui se terminait par une déambulation dans la rue autour du théâtre afin de raccompagner les spectateurs devant le bâtiment pour dévoiler la nouvelle enseigne. Pour finir, les spectateurs sont restés boire un verre et écouter les concerts que nous avions programmés puis nous avons dansé jusque tard. C’était une très belle fête, un lancement dont nous sommes avec l’équipe toutes et tous très heureux·ses.
Vous avez souhaité que le nom du lieu face l’objet d’une consultation auprès des Dunkerquois. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Alice Laloy : J’avais envie de trouver un nom pour le lieu qui ne soit pas le nom de la compagnie et qui pourrait rester. Et je voulais que ce ne soit pas mon idée. J’ai cherché une méthode qui reflète l’état d’esprit de la compagnie : jouer avec le public, prendre des risques et déjouer les logiques établies. J’ai alors proposé un procédé plus qu’une idée en soi : le procédé de la récolte. Les gens ont joué : nous avons récolté 160 propositions pour n’en retenir que celle que nous avons préférée, proposée par Alain Souris, un habitant du quartier qui nous a dit « Puisque la compagnie S’Appelle Reviens… elle revient au Bercail… » Nous avons collectivement choisi cette idée : nous avons aimé l’humour et le plaisir du jeu qui est un élément fondamental dans mes écritures. Le côté accueillant et chaleureux relatif à ce que nous souhaitons faire de ce lieu et le langage populaire parce que ça a du chien et que je savais que le talent de Maud Guerche, notre graphiste qui a créé la typographie « Reviens », allait lui donner une allure folle.
Quels sont vos prochains projets ?
Alice Laloy : En plus du projet spécifique du Bercail, mes futures créations : en 2024, Le Ring de Katharsy est un spectacle dystopique grand format qui croise différentes disciplines des arts du cirque, de la musique (plus spécifiquement du chant), ainsi que des arts du théâtre explorant spécifiquement mes attaches aux arts marionnettiques. Avec Le Ring de Katharsy, les spectateurs sont invités à assister à un tournoi plus qu’à un spectacle. Le tournoi se joue en plusieurs manches précédées d’un temps de préparation du jeu. Le théâtre s’immisce dans la dernière manche puisque la situation se retourne et que le match est interrompu par un évènement théâtral. Il y sera question de violence, de pouvoir et d’un système manipulateur. En 2025, je ferais ma première création pour l’opéra avec la compositrice Diana Soh. De nouveau pour un grand plateau et pour un chœur d’enfants : la Maîtrise de l’Opéra de Lyon.
Propos recueillis par Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Le Bercail
60 Rue du Fort Louis
59140 Dunkerque