Comment est né votre désir de danser et de chorégraphier ?
Volmir Cordeiro : Il y a bien longtemps, quand j’étais enfant, certainement des pratiques scolaires. C’était pour moi un refuge, un endroit où je pouvais être moi-même sans me soucier de l’étrangeté que je portais — quand je dis cela, je pense à mon corps, à ma figure. À travers la danse, j’ai trouvé une manière de me reconnecter, de trouver mon espace d’expression et surtout le désir énorme d’être sur scène. Il y avait dans cette envie d’être au plateau l’idée de produire quelque chose, d’oublier un temps qui j’étais, d’être autre, de me sentir protégé du monde extérieur. Dans le village où j’ai grandi, qui est assez isolé et dépouillé, nous n’avions que peu accès à la culture, sauf une fois par mois, grâce au dispositif mis en place par le Sesc, un centre culturel brésilien très proactif, qui invitait un artiste à se produire. Dans ce cadre, j’ai découvert le travail de Lia Rodrigues. Cela a été clairement fondateur dans ma volonté de devenir artiste et de découvrir toutes les facettes de l’art vivant. Peu de temps après, j’ai commencé à faire du théâtre en dehors de l’école. Mais déjà, par le biais de la télé et des films qui y étaient diffusés, je savais que je voulais faire ça. Non que je sacralisais les artistes, mais je me disais plutôt : si eux le font, alors pourquoi pas moi.
Comment vous êtes-vous formé ?
Volmir Cordeiro : Tout d’abord, par la pratique du théâtre. Assez vite, ensuite, j’ai collaboré avec plusieurs chorégraphes au Brésil, Comme Lia Rodrigues, Alejandro Ahmed ou Cristina Moura. Puis je suis arrivé en France en 2011, à l’âge de 24 ans, où j’ai intégré, dans le CCN d’Angers d’Emmanuelle Huynh, la formation Essais. J’ai pu ainsi obtenir un master en performance et création. C’est par ce biais que j’ai enfin touché du doigt l’écriture chorégraphique. J’avais trouvé ma voie, le plaisir était grand. Il faut savoir qu’au Brésil, il n’existe pas de formations telles que vous avez en France, la plus grande partie des artistes passe par l’Université. En tout cas, mon parcours m’a permis d’avoir des visions très différentes et m’a construit en tant qu’artiste.
Qu’est-ce qui vous inspire quand vous créez ?
Volmir Cordeiro : Un déclic dans la chair. Je pense que cela vient toujours d’une sensation, d’une crise sensorielle qui se manifeste par des sentiments opposés, des perceptions contradictoires. C’est bien sûr en lien avec le monde qui m’entoure, avec ce que je saisis des autres, de l’actualité. Quand tout se frotte, quand les émotions ne sont plus en phase, sont discordantes, contraires, que je passe de la joie à la tristesse, voire à la désolation, je sais que j’ai la matière nécessaire pour travailler un sujet, pour enclencher un processus créatif.
Vous présentez en ce moment votre nouvelle création, Abri. Quel a été le point de départ de cette pièce ?
Volmir Cordeiro : Elle s’inscrit dans la continuité de Métropole, la précédente. Non comme une suite, mais plutôt comme une réaction. Après avoir évoqué la brutalité, la violence face à ce qui se passait au Brésil, à la gestion meurtrière par Bolsonaro de la crise Covid, qui a mené à un génocide, j’avais un désir de douceur, de me retrouver, d’imaginer un endroit où l’on puisse se protéger, s’abriter face à une éventuelle destruction. Il n’est pas question pour moi de tomber dans un discours catastrophiste, annonciateur de la fin du monde. Mais plutôt de me désengager d’une société qui tournait en boucle sur certains sujets. Un besoin de me détacher, de trouver refuge dans un abri qui serait spirituel et qui permettrait se de reconnecter à soi mais aussi aux autres, à recréer un lien entre les êtres.
La plupart de vos pièces ont comme point commun d’être liées à un lieu. C’est une obsession ?
Volmir Cordeiro : Oui (rires) !, j’ai une obsession avec les lieux, avec le topos, parce que je pense qu’il y a un truc avec l’espace qui se passe dans notre société. Le besoin de trouver sa place. C’est, je pense, quelque chose de l’ordre du vivant, du temps présent, de la connexion avec tous les êtres, qu’ils soient végétaux, animaux, voire organiques. C’est un endroit que je peux sculpter, apprivoiser, que je peux modeler, creuser, dans lequel je peux m’exprimer et surtout me sentir libre.
Le Brésil, d’où vous venez, reste très important pour vous…
Volmir Cordeiro : Bien sûr, mais pas dans le sens identitaire. Je ne considère mon travail comment étant étiqueté « Brésil ». On me renvoie souvent cette image, mais ce n’est qu’une partie de ce que je suis. Ma famille vit toujours là-bas. Je suis donc toujours en lien avec mon pays, je lis beaucoup de littérature brésilienne contemporaine. Tout comme la musique, à laquelle je suis vraiment addict — je ne passe pas une journée sans en écouter, cela m’inspire, nourrit mon travail. Mais je ne suis pas un emblème. Je suis brésilien, donc forcément il y a des influences, mais elles sont liées à mon histoire, à ce que j’ai vécu, pas à mon identité.
Vous êtes artiste associé de Points Communs. Qu’est-ce que cela signifie, concrètement ?
Volmir Cordeiro : C’est quelque chose de très important pour moi, dans mon parcours d’artiste. Cela permet de prendre du temps, de se poser, de réfléchir, d’autant qu’avec l’équipe de Points Communs, il y a une connivence évidente, une fluidité. Ils sont très généreux, très humains. Bien sûr, il y a un cahier des charges à respecter, mais au-delà de cela ce qui me passionne particulièrement c’est les actions culturelles qu’ils mettent en place. Toutes les activités pédagogiques, que ce soit avec les habitants, les collégiens et les lycéens des environs ou avec les étudiants du Master en arts, cela m’intéresse beaucoup. Cela permet des échanges, des moments de partage assez rares, qui font grandir, qui permettent aussi de voir les choses autrement. C’est un lien humain qui se met en place et que je trouve nécessaire. Cela permet d’être connecté avec la société.
Propos recueillis par Olivier Fregaville-Gratian d’Amore
Abri de Volmir Cordeiro
Points Communs – Nouvelle scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise
Théâtre des Louvrais
Place de la Paix, 95300 Pontoise
Les 19 et 20 avril 2023
Durée 1h15
Chorégraphie : Volmir Cordeiro
Interprétation : Marcela Santander Corvalán, Lucia Garcia Pulles, Martin Gil, Kiduck Kim, Cassandre Munoz/Moun, Anne Sanogo, Isabela Fernandes Santana, Washington Timbó Soubassophoniste Fanny Meteler
Lumière : Abigail Fowler
Son : Aria De la Celle
Costumes : Volmir Cordeiro en étroite relation avec les danseurs et danseuses et Coco Blanvillain
Régie générale : Aliénor Lebert