Des existences fauchées pour un idéal, des vies sacrifiées pour un sursaut de dignité, d’humanité, des récits presque oubliés dans l’indifférence d’hommes et de femmes ordinaires qui un jour se sont levés, relevés, contre l’oppression, l’injustice et la barbarie. Ce sont ces gens de l’ombre, ces justes, morts pour avoir refusé la fatalité, l’ignominie, que l’impressionnant François Bourcier met en lumière dans un seul-en-scène fascinant, bouleversant. Bravo !
Etrange décor que celui qui s’offre aux yeux du spectateur quand il pénètre dans la salle du Studio Hébertot. Dans la pénombre de la scène, une dizaine d’étranges silhouettes apparaissent. Accrochés aux cintres du théâtre par des chaînes, ces corps désincarnés, ces vêtements d’un autre temps, d’un autre siècle, vidés de leurs propriétaires, offrent une vision glaçante, sépulcrale d’un monde depuis longtemps englouti dans les mémoires de nos ancêtres.
Alors que la salle plonge dans l’obscurité, ce mausolée de l’ombre à la gloire d’inconnus, qui un jour ont donné leur vie pour en sauver d’autres, s’anime et prend vie. Un homme (fascinant François Bourcier), grimé de blanc à la façon d’un clown triste, investit la scène et se glisse avec une aisance confondante dans la peau de ces hommes et de ces femmes, ni vraiment héros, ni vraiment courageux, juste des humains qui confrontés à l’innommable ont tenté de résister quitte à en mourir.
Saisi dans ce tourbillon glaçant et poignant de tranches de vie qui se succèdent au rythme effréné des balles qui sifflent dans le silence et ponctuent chaque histoire, on se laisse totalement immerger dans cette période trouble de l’histoire où la nature profonde de chacun se révèle. Ainsi, le comédien s’efface pour laisser place à ces Justes, ces résistants. Tour à tour, il est ce français moyen portant béret sur la tête qui un jour confronté à un dilemme se met en danger pour un peu plus de justice, cette femme de ménage accorte prête à coucher avec l’ennemi pour venger la mort de son amoureux, ce gendarme prêt à mentir pour sauver la tête d’un enfant juif, ce proviseur un peu gauche qui demande un peu moins de zèle à un de ses professeurs un peu trop pro nazi, etc.
En adaptant les récits de ces instants de vie compilés par Alain Guyard, Isabelle Starkier, par le biais de l’impressionnant François Bourcier, fait revivre magistralement cette époque où la France était occupée. Elle redonne la voix à ces inconnus qui ont eu un jour l’instinct de se rebeller de résister à l’oppresseur, à ses idées fascistes. Autant dire qu’en ces temps troublés où les peuples se referment sur eux-mêmes et sur un nationalisme exacerbé et xénophobe, ce seul-en-scène bouleversant, véritable devoir de mémoires, réveille nos consciences.
Homme de théâtre, clown triste, François Bourcier est un virtuose aux multiples facettes. Fragile ou fort, courageux ou falot, il est tous ces personnages avec sincérité et authenticité. Il leur insuffle la vie, de sa fougue, son étourdissante capacité à être l’un et l’autre d’une intonation de voix, d’une gestuelle, d’un objet. Poignant, drôle ou pathétique, il rend magnifiquement hommage à ces gens de l’ombre, ces héros ordinaires. une véritable leçon d’humanité, d’humilité !
Olivier Frégaville-Gratian d’Amore
Résister c’est exister d’Alain Guyard
Studio Hébertot
78bis Boulevard des Batignolles
75017 Paris
Jusqu’au 19 mars 2017
Du mardi au samedi à 19h00 et le dimanche à 17h00
Séances scolaires (14h30) :
– Mardis 24 et 31 janvier / 28 février / 7 et 14 mars 2017
– Jeudis 26 janvier / 2 février / 2, 9 et 16 mars 2017
durée 1h25
sur une idée originale de François Bourcier
Mise en Scène et Scénographie d ’Isabelle Starkier
avecFrançois Bourcier et les voix d’Eva Darlan, Evelyne Buyle,Daniel Mesguich, Yves Lecoq et Stéphane Freiss
Crédit photos © Caroline Coste & © Emilie Genaedig